Et si, plutôt que de prédire 2024, nos chroniqueurs tentaient d’imaginer ce qui n’arrivera pas ?

30 août 2024. Déclaration de Pierre Poilievre après la nouvelle crise des incendies de forêt de l’été 2024.

« Chers Canadiens, je vous ai menti.

« Je sais depuis longtemps que la taxe carbone, qui fixe un prix aux émissions de GES, fait partie des moyens les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique. J’ai démonisé la taxe sans fondement.

« De fait, 3649 économistes américains, dont 4 ex-directeurs de la Banque centrale et 28 Prix Nobel d’économie, ont appuyé une telle taxe en 2019, comme le rapportait The Wall Street Journal ⁠1.

« Je sais aussi que cette taxe carbone, qui hausse le prix de l’essence, est compensée au Canada par une allocation qui permet à la plupart des ménages de récupérer bien davantage que ce qu’ils versent pour cette taxe. J’ai laissé entendre le contraire, moi, Pierre Poilievre, mais ce sont des mensonges.

« Par exemple, lorsque la taxe atteindra son sommet en 2030 (170 $ la tonne d’équivalents GES, contre 50 $ en 2023), les ménages les plus pauvres de l’Alberta feront un gain net de 870 $ et les ménages riches, de 682 $, tout compris. Ces données viennent d’une analyse du Directeur parlementaire du budget (DPB), un organisme indépendant⁠2.

« La taxe incitera aussi les gros pollueurs à miser sur des voitures plus efficaces et sur des maisons mieux isolées, contribuant ainsi à faire baisser nos émissions de GES.

« Une telle taxe carbone est bien plus efficace que les subventions ou la réglementation, ce qui respecte les principes mêmes du conservatisme fiscal de mon parti. La taxe s’applique dans sept provinces, mais pas aux autres, dont le Québec, qui ont leur propre système de tarification.

« Autre mensonge de ma part : la taxe carbone contribue très peu à l’inflation, contrairement à ce que j’ai laissé entendre. Elle ajoutera seulement 0,1 % à l’inflation annuelle, selon les meilleures estimations de la Banque du Canada. » ⁠3

« Chers Canadiens, je ne suis pas un imbécile. Je sais que les combustibles fossiles sont ultimement les principaux responsables du réchauffement accéléré. Et qu’au rythme où vont les choses, ce réchauffement débouchera sur des souffrances humaines massives, selon le consensus scientifique.

« D’ailleurs, je vois bien que 120 pays ont approuvé une feuille de route historique à la COP28 de Dubaï de décembre dernier pour s’éloigner des combustibles fossiles.

« Je sais également que bien des industriels canadiens espèrent voir s’étendre ce genre de prix sur les GES à toute la planète. Et c’est ce que je souhaite aussi. Un tel déploiement empêcherait les fabricants étrangers d’utiliser de l’énergie hyperpolluante bon marché pour fabriquer leurs biens à bas prix et ainsi concurrencer nos entreprises canadiennes au détriment de la planète.

« Je sais tout cela, mais je vous ai menti, en bon populiste, car c’était le moyen le plus efficace de soulever l’opinion publique et de ravir le pouvoir à Justin Trudeau.

« Vous n’êtes pas sans savoir, chers Canadiens, que la base militante du Parti conservateur est principalement située dans les provinces des Prairies, où le niveau de vie est étroitement lié à l’industrie pétrolière.

« Vous savez également qu’un grand nombre de conservateurs ne croient pas au réchauffement climatique, en minimisent la portée ou en attribuent la cause à d’autres facteurs que l’activité humaine. Beaucoup préfèrent fermer les yeux, afin de continuer à profiter de la vie sans modifier leurs habitudes. J’ai misé sur cet aveuglement irresponsable pour faire le plein de votes.

« Vous savez, enfin, que les contribuables ont horreur des taxes et que celle sur le carbone de Justin Trudeau, bien que sensée, était une cible parfaite pour faire pencher la balance en notre faveur. Ainsi vont les tactiques modernes des populistes dans le monde démocratique de nos jours.

« Je vous ai menti effrontément, bref, mais devant les incendies de forêt qui font des ravages et des morts partout sur la planète pour une 2e année d’affilée, sans compter les nombreux réfugiés, j’ai décidé de cesser ce manège, après des discussions avec ma femme, Anaida.

« Désormais, je tenterai de convaincre mes collègues du parti de changer les passages de notre programme qui appuient l’utilisation du pétrole et du gaz pour la transition énergétique, paradoxalement. Notre programme mise surtout sur la technologie de captage du carbone de ces sources d’énergie pour réduire les GES, alors que cette technologie est encore loin d’avoir fait ses preuves et ne réussirait à absorber qu’une très petite partie des objectifs canadiens de réduction de GES.

« Chers Canadiens, je vous ai menti, je m’en excuse, mais la gravité de la situation exige que je vous fasse cette déclaration, pleine de gros bon sens, comme le veut notre maxime.

« Et je dis aux membres conservateurs de mon parti, dont les valeurs familiales sont profondément enracinées : à quoi bon profiter de la vie aujourd’hui en polluant allègrement si vos enfants doivent se priver et en souffrir dans 10, 15 ou 20 ans ?

« Merci de votre attention. Et pour les gens en région, n’oubliez pas de porter vos masques pour contrer le smog des incendies, ainsi que le recommande maintenant la Santé publique. »

1. Lisez la lettre telle que publiée dans le Wall Street Journal (en anglais) 2. Consultez l’analyse du Directeur parlementaire du budget 3. Consultez les témoignages du Comité permanent des finances (les informations sur la taxe carbone se trouvent à la page 3)