Ce n’est plus un mystère pour personne que la forte augmentation du nombre de nouveaux arrivants enregistrée au cours des dernières années a été l’un des principaux facteurs de la crise du logement qui sévit aujourd’hui partout au pays. La rareté du nombre de logements disponibles a fortement contribué à rendre inabordable les loyers et il faudra que l’offre s’arrime rapidement à la demande pour espérer un jour un retour à l’équilibre.

Dans une chronique publiée la semaine dernière qui s’attardait sur un évènement qui ne devrait pas se produire en 2024, j’anticipais qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que le prix des logements redevienne abordable au cours de la prochaine année.

On conviendra qu’il s’agissait davantage d’une grossière évidence plutôt que le fruit d’un exercice de prospective sophistiquée. On le voit et on le constate tous les jours, il y a pénurie de logements partout au Québec et au Canada alors que les nouvelles mises en chantier ont chuté en 2023 sous le niveau prépandémique de 2019.

On connaît les grandes raisons de cette baisse d’activité : la hausse des coûts des matériaux qui a été enregistrée durant la pandémie et les prix qui sont restés élevés depuis ; la hausse des taux d’intérêt depuis deux ans et la pénurie persistante de main-d’œuvre dans le secteur de la construction tant résidentielle qu’industrielle et commerciale.

Outre ces raisons, il faut de plus composer aujourd’hui avec un cycle de ralentissement économique qui ne favorisera pas la relance de nouvelles mises en chantier résidentielles à court terme.

Dans une étude publiée jeudi, deux économistes du Mouvement Desjardins, Florence Jean-Jacobs et Marc Désormeaux, tracent un portrait détaillé de l’industrie de la construction québécoise qui devrait pourtant être, selon eux, la clé de voûte pour contrer la crise du logement.

Parce qu’on a longtemps associé la construction résidentielle à un moteur économique, quand le bâtiment va tout va, disait-on.

Pourtant, depuis dix ans, observent les économistes de Desjardins, la contribution de l’industrie de la construction au PIB québécois a chuté à rebours notamment de l’industrie des services. Les investissements en construction ont totalisé 43,5 milliards pour les trois premiers trimestres de 2023, soit l’équivalent de 9 % du PIB québécois.

Contrer la pénurie par une meilleure représentativité

La situation ne risque pas de s’améliorer parce que l’industrie de la construction résidentielle va continuer de souffrir de la pénurie de main-d’œuvre, notamment en raison de la forte pression attendue du côté industriel et commercial pour les 10 prochaines années.

À lui seul, le Plan d’action d’Hydro-Québec d’investissements de plus de 150 milliards d’ici 2035 prévoit mobiliser 35 000 travailleurs de la construction par année durant 10 ans alors que l’industrie anticipait déjà des besoins de 16 000 nouveaux travailleurs par année pour répondre à la demande générale.

Ajoutez à cela les autres grands projets industriels qui vont prendre forme et mobiliser des milliers de travailleurs dans la Vallée de la transition énergétique à Bécancour ou à l’usine Northvolt à McMasterville.

Dans une étude récente de la Banque du Canada, on soulignait que la forte augmentation du nombre de nouveaux arrivants au Canada, plus d’un million au cours des quatre derniers trimestres, était en grande partie responsable du déséquilibre entre l’offre et la demande de logements disponibles au pays.

On apprenait jeudi que les fonctionnaires du ministère de l’Immigration à Ottawa avaient été avertis il y a deux ans que la hausse des cibles d’accueil de nouveaux arrivants allait affecter l’abordabilité des logements au pays.

Au Québec, le nombre de résidents temporaires a atteint en 2023 la marque des 528 000 individus, ce qui inclut les étudiants étrangers et les travailleurs étrangers temporaires.

Dans leur étude, les économistes de Desjardins observent pour leur part qu’il y a une trop faible proportion d’immigrants ou de résidents non permanents qui travaillent dans l’industrie de la construction au Québec. Ces travailleurs étrangers ne représentent que 9 % du total contre 20 % dans l’ensemble des industries au Québec.

Les entrepreneurs québécois ont besoin de charpentiers, d’électriciens, de conducteurs, de tous les corps de métier, en fait, et les travailleurs étrangers sont nettement sous-représentés alors qu’ils pourraient contribuer à la résolution du problème.

Aux États-Unis, 34 % des travailleurs de la construction sont nés à l’extérieur du pays. Il faudrait, selon la Banque du Canada, que le nombre de résidents non permanents soit multiplié par trois dans l’industrie de la construction pour que leur taux de participation soit équivalent à celui de la population en général.

L’afflux de travailleurs étrangers, qu’ils soient résidents temporaires ou permanents, a permis au cours des dernières années à l’économie canadienne et à l’économie québécoise d’opérer à leur plein potentiel, mais cette immigration massive a entraîné un déséquilibre manifeste dans le secteur du logement parce que le marché n’arrive pas à combler la trop forte demande.

Les entrepreneurs en construction doivent commencer eux aussi à embaucher les travailleurs spécialisés dont ils ont besoin à l’étranger s’ils ne sont pas en mesure de recruter localement.

L’an dernier, seulement 455 travailleurs qualifiés de la construction ont été embauchés à l’étranger via le programme fédéral des travailleurs de métiers spécialisés. Une infime décimale sur les 1,6 million de travailleurs de la construction au Canada.