Malgré le ralentissement économique que l’on observe au Québec, les entreprises manufacturières vont devoir encore composer en 2024 avec la pénurie de main-d’œuvre. Le recours à des travailleurs étrangers temporaires va rester essentiel pour assurer la pérennité de leurs opérations, et limiter l’entrée de ces travailleurs au Québec, comme le souhaite François Legault, ne serait donc pas une bonne idée.

C’est ce qu’on peut comprendre à la lecture du mémoire que Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) va présenter prochainement au ministre des Finances, Eric Girard, dans le cadre de ses consultations prébudgétaires qui s’amorcent en vue du budget 2024-2025.

L’année 2023 n’a pas été de tout repos pour le monde industriel, qui a dû composer avec l’incertitude générée par la forte inflation et la hausse des taux d’intérêt. Si on constate une accalmie du côté de ces deux sources de préoccupations, on s’interroge sur les effets et la durée du ralentissement économique.

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La présidente de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), Véronique Proulx

Mais la grande préoccupation de MEQ demeure la pénurie de main-d’œuvre qui va perdurer en 2024 en dépit du ralentissement économique ou d’une récession technique.

La pénurie de main-d’œuvre est encore le principal frein pour la croissance du secteur manufacturier. L’impact économique est bien réel, et ce, partout à travers le Québec depuis plusieurs années.

Véronique Proulx, présidente de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), dans son mémoire au ministre des Finances

Les manufacturiers québécois amorcent l’année 2024 avec un déficit de 20 000 postes à pourvoir sur l’ensemble du territoire québécois.

La situation s’est légèrement améliorée puisqu’en 2018, les entreprises manufacturières totalisaient 14 % de tous les postes vacants au Québec et que ce pourcentage est tombé aujourd’hui à 10,6 %, ce qui reste néanmoins nettement plus élevé qu’en Ontario et dans le reste du Canada.

Cette incapacité à pourvoir les postes disponibles coûte cher aux entreprises du secteur manufacturier, particulièrement celles qui comptent moins de 100 employés, selon un sondage récemment réalisé pour MEQ.

Ainsi, près de 60 % des entreprises manufacturières du Québec doivent refuser des contrats, réaliser moins de soumissions ou encaisser des pénalités financières pour des retards de livraison, en raison d’un manque de personnel pour réaliser les tâches adéquates.

C’est pourquoi les entreprises manufacturières doivent se tourner vers une plus grande automatisation, une meilleure formation de leurs employés et le recrutement international pour combler une part de plus en plus importante de leurs besoins en main-d’œuvre.

Des travailleurs étrangers temporaires indispensables

Le secteur de la fabrication est maintenant le deuxième secteur économique qui a le plus recours aux travailleurs étrangers temporaires au Québec, après celui de l’agriculture, foresterie, chasse et pêche.

En cinq ans, les entreprises manufacturières ont multiplié par 13 le nombre de travailleurs étrangers temporaires à leur emploi : ils sont passés de 1108 en 2017 à 14 796 en 2022. Un chiffre qui a assurément encore grossi en 2023 alors que les besoins ont été encore criants tout au long de l’année.

Non seulement 60 % des entreprises perdent des contrats en raison de manque d’effectifs, mais 35 % d’entre elles constatent que cette pénurie a des effets néfastes sur la santé mentale de leurs employés.

Bref, les manufacturiers veulent encore avoir accès au recrutement international pour combler leurs besoins immédiats de main-d’œuvre qu’ils sont incapables de pourvoir avec la population locale.

On compte 14 000 entreprises manufacturières au Québec, dont 13 000 ont moins de 100 employés. Le secteur qui a déjà embauché plus de 630 000 personnes au début des années 2000 en recense aujourd’hui tout juste un peu plus de 500 000, mais la contribution du secteur manufacturier à l’activité économique québécoise n’a cessé de décliner au cours des 20 dernières années.

En 1998, ce secteur contribuait à plus de 20 % au PIB du Québec. Durant la décennie des années 2000, avec l’irrépressible ascension de la Chine, cette contribution est tombée à 14,5 % en 2010 et ne représente plus que 12,6 % du PIB québécois aujourd’hui.

Le secteur manufacturier totalise tout de même 87 % des exportations totales du Québec avec des ventes de 213 milliards en 2023, mais sa contribution pourrait être nettement plus importante si le secteur retrouvait ses niveaux d’il y a 20 ans.

Dans une entrevue qu’elle m’avait accordée en 2013 lorsqu’elle était PDG de Rio Tinto Alcan, Jacynthe Côté avait souligné avec raison que lorsque la contribution du secteur manufacturier tombe sous les 20 % du PIB, c’est toute l’économie du pays qui est fragilisée.

Elle comparait à l’époque la situation de l’Allemagne, avec son secteur industriel à plus de 20 % de son PIB, à celle des autres pays européens, qui tiraient le diable par la queue.

Les entreprises doivent augmenter leur productivité en automatisant davantage leurs opérations et en numérisant leurs procédés industriels, elles doivent innover et se moderniser, mais elles doivent aussi compter sur des employés en chair et en os pour orchestrer toute cette activité, et sur des bras pour faire fonctionner les machines.