L’un des mythes les plus tenaces au sujet de la retraite veut que les dépenses soient importantes au début et qu’elles diminuent énormément passé un certain âge, autour de 80 ans. Dans ce scénario idéal, il n’est pas nécessaire de se garder un coussin financier pour ses dernières années. On se berce, on regarde la télé, on ne dépense à peu près plus. Dans la vraie vie, ce raisonnement est risqué.

Si vous avez lu le reportage⁠1 de ma collègue Ariane Lacoursière sur le coût de la vie dans les résidences privées pour aînés (RPA), vous savez de quoi je parle. Elle y rapportait l’histoire d’une femme qui payait 5593 $ par mois pour son logement et divers services dans une résidence pour personnes non autonomes.

Deux saisons plus tard, la facture avait grimpé à 7125 $ parce qu’elle requérait plus de soins. Elle s’était cassé une hanche.

L’automne dernier, surprise, c’est 9328 $ qu’on lui demandait. Soit plus de 111 000 $ par année. Avec raison, sa fille s’est sentie prise en otage par cette hausse de 65 % en seulement un an. « Tu ne peux pas aller ailleurs. Tu attends une place en CHSLD, et les autres RPA ne la veulent pas. »

Cet exemple est extrême, mais Ariane a parlé à plusieurs familles qui doivent composer avec des factures annuelles de 80 000 $, voire 100 000 $. En 2024, ce ne sont plus des cas isolés. Ces chiffres qui font peur rappellent l’importance de l’épargne retraite, car ça n’ira qu’en augmentant. Si les hausses de loyer sont encadrées par le Tribunal administratif du logement (l’ancienne Régie du logement), le prix des soins est à l’entière discrétion de la résidence et peut exploser à tout moment.

La FADOQ réclame d’ailleurs depuis des années l’instauration d’une grille tarifaire standardisée pour les services offerts dans les résidences de la province. « Présentement, il n’y a aucune liste, aucune limite de prix, aucune réglementation pour les services », déplore la présidente de l’organisation, Gisèle Tassé-Goodman.

Même si on arrivait à baliser les soins de santé, il semble peu plausible que des entreprises privées à but lucratif se laissent dicter des prix pour l’assistance lors des repas, l’entretien ménager, l’aide à l’habillement et la pédicure. Mais ne restons pas les bras croisés. Il faut trouver le moyen de contrer les abus potentiels lorsqu’il est évident, par exemple, que le déménagement du locataire n’est pas une option viable.

Les plus petites RPA, où la note est bien moins salée, pourraient être une solution. D’un point de vue financier du moins, puisque certaines personnes préfèrent les grandes résidences aux allures de bateaux de croisière avec piscine intérieure. Le hic, c’est que les petites résidences disparaissent les unes après les autres, faute de rentabilité et de personnel. Depuis cinq ans, au moins 500 ont fermé leurs portes au Québec. Quel sera le portrait de la situation dans 10, 15 ou 20 ans ?

Le gouvernement reconnaît que ces fermetures sont un problème et que des aînés se privent de soins faute de moyens. Un programme d’allocations personnalisées pour les résidants en perte d’autonomie en RPA de 30 places ou moins vient d’être annoncé⁠2, avec un budget de 200 millions sur cinq ans à la clé. Ce n’est pas une panacée. Seulement 2100 personnes en bénéficieront.

Même si tout le monde rêve de finir sa vie paisiblement dans sa maison, les coûts souvent faramineux des RPA (où l’on déménage à 83 ans, en moyenne) doivent obligatoirement être pris en compte dans une planification de retraite. Surtout quand on ne bénéficiera pas d’une rente garantie grâce à un régime à prestations déterminées. Personne ne peut échapper au risque de perdre assez d’autonomie pour devoir quitter son logis... mais pas assez pour être admissible à une place en CHSLD.

« La pire situation, c’est quand un des membres du couple ne peut plus rester à la maison parce qu’il a besoin de soins, et que l’autre doit encore se loger », constate la planificatrice financière Nathalie Bachand, du cabinet Bachand Lafleur. C’est le genre de scénario très coûteux auquel on ne pense pas.

On oublie aussi une foule d’autres dépenses comme les prothèses dentaires, les lunettes, les appareils auditifs et les visites chez le dentiste, souligne Gisèle Tassé-Goodman, de la FADOQ.

Ce serait miraculeux si le coût de la vieillesse en venait à diminuer considérablement. Mais il ne faut pas rêver en couleur. Avec les baby-boomers qui prennent de l’âge, la demande pour les soins de santé dépasse déjà l’offre. Et la situation ne va que s’aggraver, prédit Deloitte.

Le cabinet comptable calcule que 73 % des ménages de quasi-retraités (les 55 à 64 ans) risquent de connaître des difficultés financières aux derniers stades de leur vie s’ils ont besoin de soins de longue durée. Le fardeau sera transféré aux enfants, « ce qui se traduira par des enjeux sociaux à l’échelle nationale ». Rien de moins.

En anglais, les trois étapes de la vieillesse portent des noms très accrocheurs : Go Go, Slow Go et No Go. Ils illustrent bien la perte de bougeotte qui survient au fil des décennies, mais la courbe n’est pas forcément corrélée avec les dépenses, malheureusement.

En fait, la courbe n’est pas descendante jusqu’à la mort, mais plutôt en forme de « U », selon Deloitte. Le coût de la vie diminue de 73 à 82 ans avant de grimper et de dépasser rapidement celui des premières années de la retraite pourtant remplies de voyages. Comme quoi il faut se méfier des mythes.

1. Lisez le texte d’Ariane Lacoursière sur le coût des RPA 2. Lisez le texte de Fanny Lévesque sur le programme de Québec