Se défaire du démon de la dépendance n’est pas chose facile. L’alcool, la cocaïne et le cannabis, entre autres substances, sont des adversaires coriaces.

Les traitements sont aussi plutôt coûteux : 5200 $ pour un séjour de trois semaines à la Maison Jean Lapointe, par exemple, logé et nourri. Le traitement à l’interne, avec infirmières et psychologue, est accompagné d’un suivi d’un an à l’externe.

Pourquoi je vous en parle ? Parce que ce genre de traitements, essentiel pour les personnes dépendantes, n’est pas financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), sauf pour ceux qui bénéficient de l’aide sociale.

Les organismes communautaires espéraient pourtant qu’avec la montagne de profits du cannabis, ils auraient un peu d’aide, surtout qu’une loi spécifie qu’une part des profits doit servir aux « soins curatifs ». Mais non.

Les organismes communautaires en dépendance ont donc été outrés de lire mon enquête sur l’utilisation approximative des profits du cannabis, parue lundi. Malgré les dizaines de millions, ils n’ont pratiquement pas vu d’argent frais dans leur réseau.

Le MSSS a dépensé 109 millions cette année venant du Fonds de prévention et de recherche en matière de cannabis (FPRMC), nourris par les profits et taxes du pot. Or, selon mes recherches, environ 45 % ont probablement été dépensés en dehors du cadre de la loi, qui vise la prévention, les traitements et la recherche liée au cannabis.

Sport amateur, lutte contre le tabagisme, logement des sans-abri et tutti quanti, l’argent est souvent distribué pour bien d’autres besoins, avec une reddition de compte laborieuse⁠1.

« Où est passé l’argent ? On n’a pas vu la couleur de l’argent », me dit Vincent Marcoux, directeur général de l’Association québécoise des centres d’intervention en dépendance (AQCID).

Cette association regroupe 130 organismes communautaires en dépendances et usage de substances psychoactives de partout au Québec. En 2018, avant la légalisation du cannabis, les organismes s’étaient fait promettre que leur réseau allait enfin être financé adéquatement, notamment grâce à l’accroissement des profits, explique-t-il.

Les fonds devaient être liés au cannabis, mais aussi aux autres substances psychoactives (sauf pour la recherche, où seul le cannabis est ciblé), souligne-t-il.

« Mais aujourd’hui, on ne voit pas passer cet argent-là », me dit Vincent Marcoux.

Comment donc est dépensée la manne du cannabis ? C’est plutôt mystérieux.

Selon ce que m’a dit le MSSS, une grande part des 109 millions du fonds du cannabis a été acheminée aux directions régionales de santé publique (DRSP) au cours de l’année 2022-2023.

Par exemple, le MSSS me dit avoir transféré 11,7 millions à la DRSP de Montréal et 4,7 millions à celle de Québec dans l’objectif de voir à la prévention et aux traitements liés au cannabis.

Or, ces deux DRSP m’ont répondu n’avoir reçu qu’une fraction de cet argent du Fonds du cannabis, soit 4,1 millions et 0,5 million respectivement. Le MSSS et les DRSP de Montréal et de Québec n’ont pu m’expliquer adéquatement les raisons de l’écart.

Deuxième exemple : le MSSS m’assure qu’une partie des fonds du cannabis a été dépensée pour les logements aux personnes itinérantes. Or, après avoir cherché deux semaines, le MSSS n’a pas été capable de me dire combien.

Troisième exemple : la Maison Jean Lapointe est l’organisme mandaté pour le volet prévention de Laval, notamment, essentiellement dans les écoles secondaires. Or, l’organisme me dit avoir consacré environ 100 000 $ pour Laval, alors que, selon le MSSS, la DRSP de Laval a reçu 2,1 millions pour la prévention.

« Où va l’argent ? », se demande Anne-Élizabeth Lapointe, directrice générale de la Maison Jean Lapointe.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Anne-Élizabeth Lapointe, directrice générale de la Maison Jean Lapointe

La fille du défunt artiste est assez satisfaite des 500 000 $ qu’elle reçoit du fonds du cannabis pour voir à la prévention, pratiquement inexistante avant la légalisation du cannabis. Mais certaines écoles ne bénéficient toujours pas des ateliers de prévention, dit-elle.

Bref, l’argent est là, mais il ne semble pas être utilisé pour la prévention et les traitements.

Vincent Marcoux, de l’Association des centres en dépendance, croit que l’argent du fonds du cannabis sert parfois à remplacer de vieux financements de services existants, bref qu’il n’ajoute pas nécessairement d’argent frais.

En 2019, par exemple, soit avant que le cannabis empile les profits, le gouvernement a annoncé qu’il consacrait 15 millions à la prévention dans les écoles secondaires. L’argent venait d’un fonds pour la santé mentale.

Or, Vincent Marcoux constate que l’argent du fonds du cannabis a visiblement remplacé ce financement précédent, puisque l’enveloppe pour la prévention dans les écoles secondaires est demeurée au même niveau, soit 15 millions. Dit autrement, il n’y aurait pas eu d’argent neuf dans ce cas, au bout du compte.

Vincent Marcoux n’a aucune idée de ce qui a pu arriver aux 62 millions additionnels venant du fonds du cannabis qui ont soi-disant été consacrés à la prévention cette année. Ces 77 millions (62 +15) constituent la part du lion des 103 millions dépensés cette année par le MSSS pour la prévention et les soins, en plus des 6 millions pour la recherche.

Son association croit qu’il faut 50 millions d’argent frais pour financer les centres de thérapie, en plus de 20 millions pour la prévention. La somme est probablement gonflée. Mais la diviser par deux signifierait que vaincre la dépendance à la Maison Jean Lapointe deviendrait nettement plus abordable, genre 2600 $ au lieu de 5200 $. N’est-ce pas souhaitable ?

Encore faut-il qu’on sache où est passé l’argent pour ce genre de chose…

Une version précédente de cette chronique affirmait que le Collège de Montréal ne bénéficie pas d’activités de prévention, ce qui est inexact. Nos excuses.

1. Lisez le texte « SQDC : des profits étourdissants utilisés à toutes les sauces »