Même si c’est un cliché, la formule s’impose : David a gagné contre Goliath. Après sept ans de démarches, des parents pénalisés ont réussi à convaincre la justice que Kaleido a modifié illégalement la façon de calculer la somme versée aux jeunes qui entreprennent des études universitaires. Des indemnités seront versées, mais leur ampleur est inconnue pour le moment.

Comme l’affaire a été tranchée par la Cour des petites créances, dans un souci d’efficacité de la justice, les arguments avaient été présentés au juge par Dominic Demers, un père de quatre filles qui possède une usine de fabrication de sacs réutilisables. Son cas servait « d’illustration » pour 85 autres jeunes bénéficiaires d’un REEE collectif (régime enregistré d’épargne-études) de Kaleido, appelé Universitas au moment des faits.

« Ma connaissance du droit s’arrête à un cours que j’ai fait au cégep. C’était une grosse courbe d’apprentissage, mais je peux dire mission accomplie. C’est une belle victoire, sachant qu’ils avaient des avocats », m’a dit le Longueuillois.

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Dominic Demers (au centre) discute avec d’autres clients floués au palais de justice de Longueuil, en novembre dernier.

Dans sa voix, je pouvais entendre la fébrilité et la fierté de quelqu’un qui arrive au bout d’une longue bataille improbable. Il a tenu à remercier les autres parents de l’avoir appuyé dans l’élaboration de la preuve et soutenu moralement. Tous ceux qui mènent des luttes contre de grandes organisations pourront se raccrocher à ce bel exemple d’entraide et de détermination.

Comme on peut se l’imaginer, le combat a été épuisant. « Ça a été beaucoup de up and down, ça a été des heures et des heures, et du stress. » Il faut dire que c’était un dossier particulièrement complexe. Il fallait comprendre les petits caractères et le jargon des contrats et des prospectus, des documents qui avaient la particularité de changer au fil des ans.

En 2017, Kaleido avait provoqué un scandale en organisant un vote pour changer rétroactivement les règles du jeu. Jusque-là, plus un jeune allait loin dans ses études, plus il obtenait un grand nombre de paiements d’aide aux études (PAE). En gros, ceux qui s’arrêtaient au cégep laissaient de l’argent dans la cagnotte pour ceux qui s’inscrivaient à l’université.

Ce principe appelé « attrition » était au cœur de l’argumentaire de Kaleido pour vendre ses REEE, car les jeunes qui entamaient des études supérieures étaient récompensés. Le vote a mis fin à l’attrition. Tous les jeunes ont désormais droit à leur part du gâteau. Jugeant que l’information fournie aux parents ne leur avait pas permis de faire un choix éclairé, l’Autorité des marchés financiers avait forcé la tenue d’un second vote. Le résultat fut le même. Des indemnités ont ensuite été versées à certains parents pénalisés.

D’autres ont entrepris une croisade pour que cette façon de procéder soit déclarée illégale.

Le juge Jacques Tremblay leur a donné raison sur toute la ligne, déclarant que les contrats d’adhésion individuels conclus avec Kaleido ne pouvaient pas être modifiés sans l’accord des parties en vertu de l’article 1439 du Code civil du Québec.

Le fournisseur de REEE plaidait qu’il avait agi démocratiquement.

Or, rien ne pouvait laisser croire aux parents qu’une assemblée de parents pourrait modifier les sommes auxquelles leurs enfants auraient droit, ajoute le magistrat qui a pondu quatre jugements, soit un pour chaque fille de Dominic Demers. Ainsi, « le Tribunal est d’avis que l’assemblée des souscripteurs [les parents] ne pouvait être utilisée pour permettre l’assouplissement des conditions d’admissibilité aux bourses d’études ».

« Nous sommes surpris de certains éléments, d’autant plus que le processus ayant mené à l’assouplissement des critères d’admissibilité des paiements d’aides aux études a été réalisé de concert et avec l’approbation des autorités réglementaires concernées », m’a écrit la vice‑présidente marketing et expérience client de Kaleido, Julie Cyr, en réaction aux jugements qu’elle avait reçus quelques heures plus tôt, vendredi.

L’accord des parents aurait pu être obtenu lors d’une assemblée générale, mais il aurait fallu que cette façon de faire soit « spécifiquement présentée et acceptée dès le départ », écrit le magistrat. Les parents avaient-ils consenti à ce processus en signant ? Et en cas de doute, le contrat s’interprète en faveur de l’adhérent ou du consommateur. 

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Sur la photo, une partie des gens floués présents au palais de justice de Longueuil en novembre dernier, dont Dominic Demers (à gauche)

Le juge confirme la vision des parents outrés par les nouvelles règles. « Monsieur Demers a raison d’affirmer que le plan Universitaire s’est dénaturé. »

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La question des indemnités à verser n’était pas évidente, car il est impossible d’avoir la certitude qu’un enfant fréquentera l’université.

Le juge Tremblay rappelle toutefois que « la perte de chance » d’obtenir quelque chose dans l’avenir est « reconnue par la Cour suprême » et donne droit à un montant.

Deux des filles de l’entrepreneur obtiennent ainsi 6900 $ et 6300 $. Sa plus vieille recevra le plein montant dû selon les termes du contrat convenu en 2005, tandis que la requête de sa plus jeune est rejetée, car ses parents auraient pu quitter le navire lors des changements.

La suite des choses est pour le moment inconnue, les jugements étant trop récents. Mais il sera intéressant de voir quelle sera la somme totale qui devra être versée à tous les parents mécontents. Kaleido précise que ses frais juridiques seront payés à même son budget d’opération, et non avec les fonds des clients.

« On n’était pas si fous que ça ! Une grosse organisation a essayé de nous passer un changement à travers la gorge », conclut Dominic Demers, le cœur plus léger.