Sept employés du géant de la sécurité GardaWorld, établi à Montréal, ont croupi en détention pendant près de deux mois après leur arrestation, plus tôt cette année, par une puissante milice libyenne.

Le calvaire vécu par ces travailleurs souligne les risques persistants liés à l’industrie de la sécurité dans une région instable, ainsi que le fardeau financier imposé aux entreprises étrangères par des groupes armés et des acteurs étatiques, dans un contexte de lutte de pouvoir fluide dans la capitale libyenne, Tripoli.

GardaWorld, l’une des plus importantes sociétés de sécurité étrangères actives en Libye, propose des services allant des véhicules blindés aux analyses de sécurité pour les diplomates et les multinationales. Mais son rôle a connu un arrêt brutal le 11 avril dernier, lorsque la milice Rada a interpellé à l’aéroport Mitiga de Tripoli des sous-traitants de GardaWorld qui assuraient la sécurité de la Mission de l’Union européenne d’assistance à la frontière en Libye.

L’entreprise a cité un « imbroglio administratif » comme motif de la détention des sept hommes, qui travaillaient dans le cadre du partenariat de GardaWorld avec une autre société de sécurité, la française Amarante International. Le groupe de sécurité était composé de chauffeurs libyens et de gardes armés étrangers ; il n’y avait pas de ressortissants canadiens.

GardaWorld assure dans un courriel que ces travailleurs et leurs familles « ont reçu tout le soutien nécessaire ». L’entreprise indique que toutes ces personnes étaient libérées « dès la première semaine de juin », sans que le motif de leur détention ait changé.

Cependant, la Force Rada, l’une des milices les plus puissantes de la capitale libyenne, a procédé à ces arrestations au motif que les employés n’avaient pas de permis de l’État pour porter des armes à feu, selon un article d’« Africa Intelligence ». La licence de GardaWorld, selon l’article, avait plutôt été délivrée directement par la Mission de l’UE d’assistance à la frontière en Libye, qui soutient les efforts des autorités libyennes pour freiner le passage des migrants vers l’Europe.

Les observateurs libyens affirment également que ces arrestations constituent un jeu de pouvoir de la part des milices et des services de sécurité gouvernementaux, qui se solde par l’expulsion de certaines entreprises de sécurité étrangères et l’imposition de « taxes » à celles qui restent.

« J’y verrais avant tout une mesure d’extorsion, qui s’inscrit dans le cadre de la diversification des milices dominantes à Tripoli vers de nouvelles sources de revenus », estime Wolfram Lacher, associé principal à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, à Berlin, et auteur de l’essai « Libya’s Fragmentation » sur ce pays. « Ces groupes deviennent de plus en plus créatifs. »

Après avoir arrêté les travailleurs, la Force Rada, qui dépend du ministère de l’Intérieur et a des liens avec le conseil présidentiel, les a probablement remis au service de renseignement général de l’État, croit M. Lacher.

Ben Fishman, chercheur principal au « Washington Institute for Near East Policy », affirme que toutes les arrivées à Tripoli passent par l’aéroport, où la milice Rada gère un centre de détention pour soutenir son infrastructure de sécurité.

« Diverses missions européennes, notamment, doivent négocier ces questions chaque jour, et si elles ne font pas attention, ça peut se transformer en incident diplomatique », a déclaré M. Fishman dans une récente entrevue.

Une « taxe » prélevée

Quelques jours après les arrestations, un tribunal de Tripoli a ouvert une enquête sur des irrégularités présumées chez GardaWorld, ce qui a incité une partie du personnel de l’entreprise à quitter le pays, selon les médias locaux.

Il y aura eu finalement l’intervention de l’Autorité de sécurité des installations, une autre division de la sécurité libyenne dans l’enchevêtrement des appendices officiels et semi-officiels de cet État fracturé. L’Autorité a contacté les ambassades et les sociétés internationales qui faisaient appel à des sous-traitants étrangers pour leur faire une mise à jour – et une proposition.

« On leur a dit : “Eh bien, en fait, nous sommes désormais la seule partie autorisée à assurer la sécurité”. Et ils ont dressé une liste de 18 sociétés de sécurité étrangères autorisées, parmi lesquelles GardaWorld. Mais en échange, l’Autorité de sécurité des installations a imposé une taxe de 6 % sur les contrats de ces sociétés de sécurité étrangères », a déclaré M. Lacher.

Cette « taxe » devrait atteindre éventuellement 9 %, a-t-il déclaré, soulignant qu’une grande partie des fonds publics va à diverses milices rivales et aux services de sécurité souvent concurrents auxquels elles sont liées.

GardaWorld a refusé de répondre à d’autres questions sur la situation en Libye. « GardaWorld ne fournit aucune information relative à ses employés, aux contrats de ses clients et ne rend pas publiques d’informations relatives à nos activités dans aucun des pays dans lesquels nous servons nos clients », indique dans un courriel l’entreprise, qui emploie plus de 132 000 travailleurs dans des dizaines de pays.

Cette crise de huit semaines qu’a traversée l’entreprise en Libye, où de nouveaux affrontements ont éclaté le mois dernier entre la Force Rada et la milice rivale « Brigade 444 » – tuant plus de 50 personnes – témoigne des dangers de mener des activités dans une région qui a connu six ans de guerre civile et des combats intermittents plus récents qui ont suivi le renversement du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011.

Pendant ce temps, GardaWorld a perdu au moins un client. L’agence allemande de développement GIZ a déclaré que ses relations avec l’entreprise avaient été rompues en raison des arrestations.

« Notre collaboration avec GardaWorld en Libye est terminée. Pour des raisons de sécurité, nous ne pouvons pas divulguer plus de détails sur la coopération avec les prestataires de services en Libye », a indiqué un porte-parole dans un courriel.

Il y a plusieurs mois, la liste des clients de GardaWorld en Libye comprenait le géant allemand de l’électronique Siemens, le groupe pétrolier italien ENI et l’ambassade britannique à Tripoli, selon des médias en Europe et en Afrique du Nord.