Des payes jugées inférieures au salaire minimum et des heures supplémentaires versées à des taux erronés : la CNESST semonce BRP pour le traitement de certains de ses employés venus du Mexique pour prêter main-forte à Valcourt. La multinationale accepte une partie du blâme, mais s’étonne de la décision de l’organisme, avec qui elle discute pour corriger le tir. D’importantes sommes sont en jeu.

Au terme d’une enquête, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a transmis 76 constats d’infraction au constructeur québécois de motoneiges et autres véhicules récréatifs pour non-respect de quatre articles de la Loi sur les normes du travail. Les infractions seraient survenues entre décembre 2021 et novembre 2022 et concernent 25 employés.

Les constats reçus par BRP

  • 25 constats pour absence de majoration du salaire pour les heures supplémentaires
  • 25 constats pour non-respect du salaire minimum
  • 25 constats pour omission de remettre un bulletin de paye
  • 1 constat pour ne pas avoir tenu de registre des travailleurs

Source : CNESST

Chaque fois, l’organisme juge que l’« infraction » est « objectivement grave » et suggère une peine minimale au-delà du seuil minimal de 600 $. L’entreprise québécoise – qui a engrangé des profits de 2,5 milliards l’an dernier – n’a pas encore décidé si elle plaidait coupable à l’ensemble des constats. La CNESST lui réclame 127 000 $. Les allégations n’ont pas encore passé le test des tribunaux.

« On a été surpris de ces constats, affirme en entrevue Patrick Dussault, vice-président des opérations manufacturières mondiales de BRP. Les discussions avec la Commission se déroulent depuis environ 10 mois et elles continuent. »

Ponctions salariales

En février dernier, un reportage de Radio-Canada avait levé le voile sur le traitement salarial des employés mexicains du constructeur des Ski-Doo, Sea-Doo et Can-Am venus travailler au Québec. Ils faisaient partie d’un programme ayant permis à 200 salariés des usines de Querétaro et Juárez de venir temporairement gagner leur vie à Valcourt, où des postes étaient vacants en raison des difficultés de recrutement de main-d’œuvre.

L’expérience s’accompagnait de conditions, soit l’imposition de frais de prise en charge pour payer des dépenses comme l’hébergement, les repas, le transport et des activités de « divertissement » pendant le séjour en Estrie. Pour une semaine de 40 heures, BRP retenait en moyenne 560 $ par semaine (impôts et frais de dépense) sur une rémunération brute de 920 $. Le salaire net résiduel était déposé dans le compte du salarié au Mexique.

BRP se fait reprocher par la CNESST cette pratique et également d’avoir enfreint l’article en omettant de majorer de 50 % le taux horaire pour des heures supplémentaires réalisées par ses travailleurs étrangers concernés par l’enquête de l’organisme responsable de l’application des lois du travail au Québec. Résultat : ceux-ci ont été privés d’environ 1 million. Les versements s’effectueront bientôt, assure M. Dussault.

« On a reconnu des erreurs, cela fait partie des constats, dit-il. On a fait cette erreur-là et on s’en excuse à tous les employés touchés par cela. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Dussault, vice-président des opérations manufacturières mondiales de BRP

La CNESST et le constructeur de véhicules récréatifs ne sont toutefois pas sur la même longueur d’onde lorsque vient le temps d’aborder la question du salaire minimum.

En tenant compte des prélèvements effectués sur la paye des ressortissants mexicains de BRP, leur taux horaire plonge sous la barre de 10 $ l’heure. Cela est inférieur au salaire horaire de base de 23 $ offert aux travailleurs de la chaîne d’assemblage à Valcourt et du salaire minimum, qui est de 15,25 $ l’heure depuis mai dernier.

Si la Commission estime que le programme de la multinationale pour ses employés étrangers enfreint l’article 40 de la loi, M. Dussault réplique qu’il s’agit d’une « paye nette de frais de subsistance ».

« Ce qu’il reste à un employé mexicain quand il vient travailler au Québec, c’est l’équivalent, en principe, de ce qui pourrait rester à un travailleur québécois moyen », plaide-t-il, en affirmant que les salariés québécois de Valcourt doivent payer leurs propres factures (logement, hypothèque, autres dépenses courantes…).

Sur cet aspect, BRP échange avec la CNESST afin de faire le point sur le dépôt d’un éventuel avis de réclamation entourant des sommes impayées. Il n’a pas été possible d’avoir une idée de la somme qui pourrait être versée ou réclamée. Les discussions concernent également les balises à mettre en place dans l’éventualité où un autre contingent de salariés du Mexique viendrait assembler des motoneiges au Québec.

Des limites

L’article 49 de la Loi sur les normes du travail permet à un employeur d’effectuer des retenues salariales supérieures à celles prévues dans le cadre en vigueur si le travailleur y consent par écrit. C’était le cas chez BRP. Il y a cependant des limites, selon l’article 41, qui précise que l’employé doit recevoir « au moins le salaire minimum ».

Avocate et professeure de droit du travail à l’École de relations industrielles à l’Université de Montréal, Dalia Gesualdi-Fecteau n’a pas commenté spécifiquement le cas de BRP, puisque le dossier est toujours en cours. L’experte résume cependant l’esprit de l’article 41 de la loi.

« Ce n’est pas parce qu’un employeur offre une dinde ou un panier d’épicerie qu’il peut considérer cela comme faisant partie du salaire minimum, explique Mme Gesualdi-Fecteau. On ne peut pas dire que tout autre bien non pécuniaire entre dans la comptabilisation du salaire minimum. »

La CNESST n’a pas voulu commenter les infractions alléguées de BRP « compte tenu du processus judiciaire » en cours.

En ce qui a trait aux autres infractions alléguées de la multinationale, elles concernent l’absence de remise de bulletin de paye et la tenue d’un registre des travailleurs.

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  • 8 milliards
    Valeur boursière de BRP
    Source : bourse de toronto