« Une situation vient de se présenter avec ma mère âgée de 82 ans et j’avoue que je ne sais pas quelle est la meilleure solution », confie Lucie*.

La situation

« Il y a quelques semaines, elle avait rendez-vous à sa banque pour des placements qui venaient à échéance, et le conseiller financier m’a appelée pour me dire qu’elle n’a plus beaucoup d’argent », explique Lucie.

Sa mère, appelons-la Cécile*, recevait des paiements d’un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR), qui est pratiquement à sec et qui constituait une part importante de ses revenus.

Un autre petit fonds lui verse 136 $ par mois. Cécile touche en outre ses rentes publiques, Régime des rentes du Québec (RRQ) et pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV).

La dame a deux enfants, Lucie et sa sœur Johanne*. Elle habite seule dans un appartement.

« Elle va avoir 82 ans cet été. Elle est 100 % autonome, conduit encore sa voiture, fait toutes ses choses », constate Lucie.

« Pour le moment, tout va bien. »

Et c’est peut-être parce que tout va bien que les deux sœurs n’avaient pas vu venir le problème.

« Tout d’un coup, elle perd la moitié de son revenu mensuel, ce qui fait en sorte qu’elle ne pourra plus payer son loyer. »

Cécile a renouvelé son bail pour un an, pour un loyer mensuel de 1600 $. « Ma sœur et moi, on va payer la différence, pour ne pas écouler trop rapidement son argent, indique Lucie. Mais il faut trouver une façon discrète de le faire, parce qu’elle serait très en colère. »

Les deux sœurs devront ensuite trouver une autre solution.

« Elle a le budget pour à peu près 1000 $ de loyer par mois. On vient d’exclure toutes les résidences qui ont une certaine qualité. On ne veut pas qu’elle aille n’importe où, et elle non plus. Elle vit dans un bel appartement, mais trop cher pour ses moyens. »

Elles envisagent trois avenues de solution.

Les chiffres

Cécile, 82 ans

  • Fonds de revenu viager (FRV) : 17 800 $, duquel elle touche un versement de 136 $ par mois
  • Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) : 81 400 $
  • Compte bancaire : environ 10 000 $
  • Régime de retraite : 129 $/mois
  • PSV : 760 $/par mois
  • RRQ : 509 $/mois
  • Crédit TPS et TVQ : 116 $/mois
  • Crédit d’impôt pour solidarité : 75 $/mois

Acheter un condo à trois ?

« Ma sœur et moi devrions-nous acheter un condo à trois avec notre mère ? Quel impact sur nos finances ? »

Les deux sœurs seraient prêtes à fournir 25 000 $ chacune pour la mise de fonds, plus une somme équivalente versée par leur mère.

Lucie est propriétaire d’une maison. Johanne possède une maison et un chalet. « Qu’est-ce que ça veut dire, si on investit à deux ou à trois dans un condo ? »

Construire une rallonge à la maison de Johanne ?

« Un autre plan : ma sœur a dit qu’elle pourrait ajouter une aile à sa maison, où notre mère aurait sa petite unité, avec un studio et une cuisine », souligne Lucie, qui contribuerait alors aux dépenses de sa mère.

Johanne assumerait seule les coûts des travaux, sommairement estimés entre 150 000 $ et 200 000 $, avec un possible apport de 15 000 $ par Cécile. Mais son budget risquerait-il de battre de l’aile ?

Payer en partie le loyer de leur mère ?

« Est-ce qu’une idée pourrait être qu’elle aille en résidence, mais qu’on paie la portion qu’elle n’est pas capable de payer ? », évoque encore Lucie.

Bénéficiaire de l’assurance vie de son père mort, sa sœur Johanne a placé l’indemnité de 50 000 $ dans un compte d’épargne libre d’impôt (CELI), en prévision des besoins de leur mère.

« On veut trouver une solution, lance Lucie. On est vraiment prêtes à faire notre part. »

La réponse

« L’achat d’un condo et la construction d’une rallonge à la maison constituent des options coûteuses et risquées », souligne d’emblée le planificateur financier Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859.

« Dans la situation actuelle, il faudrait procéder à un emprunt pour réaliser une ou l’autre de ces options. Les coûts d’emprunt ont énormément augmenté dans la dernière année et la rentabilité d’un tel investissement est loin d’être assurée. »

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859

La question fiscale secoue aussi les fondations du projet.

« Si Lucie et sa sœur choisissent d’acquérir un condo, la propriété ne pourra pas être désignée comme résidence principale lors de la revente, dit-il. Une résidence habitée par son parent ne respecte pas la définition de résidence principale. »

Les deux sœurs devraient alors acquitter leurs parts d’impôts sur la moitié du gain en capital réalisé.

Pour éviter cet écueil, leur mère pourrait être la seule propriétaire du condo, ce qui lui permettrait de désigner la propriété comme résidence principale aux fins fiscales.

« Encore faudra-t-il trouver une manière de lui fournir les liquidités nécessaires pour l’achat de la propriété, souligne le planificateur. Ses filles devront lui donner ou lui prêter les fonds requis pour l’achat, en espérant récupérer ces sommes à la mort de leur mère. C’est sans compter les taxes de mutation, les frais nécessaires au déménagement et le coût additionnel d’être propriétaire. »

Le projet d’une rallonge à la maison de Johanne n’est pas non plus exempt de complications fiscales.

S’il s’agit d’un appartement indépendant, la propriété pourrait être qualifiée de résidence bigénérationnelle, indique Benoit Chaurette. « Il faudra s’assurer d’avoir les autorisations requises auprès de la municipalité pour réaliser un tel projet », avise-t-il.

Mais la question du gain en capital n’est pas esquivée pour autant.

De manière générale, une seule unité peut être qualifiée de résidence principale. Lors de la revente de la propriété, la nouvelle unité pourrait faire l’objet d’un gain en capital sur lequel un impôt sera exigible.

Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859

Cette rallonge ouvre cependant une autre fenêtre. Les travaux d’agrandissement pourraient être admissibles au crédit d’impôt fédéral pour la rénovation d’habitations multigénérationnelles. « Il s’agit d’un crédit d’impôt de 15 % sur les dépenses admissibles jusqu’à un maximum de 50 000 $ de dépenses », explique notre conseiller.

Même s’il demeure « un bâton de plus dans les roues », un impôt sur le gain en capital est tout de même un moindre mal dans la mesure où il résulte d’un accroissement de la valeur de la propriété.

L’obstacle réside davantage dans la capacité budgétaire des deux sœurs à soutenir leurs parts de la mensualité hypothécaire – sans parler des impôts fonciers et des charges de copropriété, dans le cas d’un condo.

Il serait plus simple et moins contraignant d’emprunter l’avenue d’un logement moins coûteux, ou peut-être même de conserver l’appartement actuel pendant quelque temps encore. Les calculs du planificateur n’écartent pas cette possibilité.

Les économies que Cécile conserve encore en CELI et en fonds de revenu viager (FRV) lui permettraient de maintenir son rythme de vie pour quelques années, estime-t-il.

« Bien que Cécile ait vu récemment le montant de ces retraits du FRV diminuer significativement, cela aura au moins une conséquence positive : réduire son revenu imposable et la qualifier pour le supplément de revenu garanti (SRG) », indique notre conseiller.

Selon ses calculs, la réduction de ses revenus viagers lui ouvre la porte à un SRG de 6200 $ par année.

Avec cet apport, ses autres revenus et un rendement moyen de 3 % sur ses actifs, Benoit Chaurette estime que Cécile pourrait soutenir des dépenses mensuelles de 2470 $, indexées annuellement, pendant les 15 prochaines années, ce qui la mène à 97 ans.

« Est-ce que ce montant est suffisant pour ses besoins ? Il n’y a pas de doute qu’avec un loyer de 1600 $ par mois, cela peut être complexe. Toutefois, considérant que ses autres dépenses semblent faibles, cela pourrait être réaliste. »

En compilant soigneusement l’ensemble de ses dépenses, il sera facile de déterminer le coût du loyer que Cécile pourrait se permettre, ajoute-t-il.

Le planificateur avance une autre suggestion.

« Considérant les montants importants que Lucie et Johanne étaient prêtes à investir dans une propriété ou une rallonge, pourquoi ne pas garder cet argent de côté advenant que leur mère réduise ses placements FRV et CELI à zéro ? Johanne avait d’ailleurs conservé une somme à cette fin provenant de la police d’assurance vie de son père. »

Ces sommes pourraient être conservées en réserve dans des placements garantis ou dans des revenus fixes en prévision de leur éventuel usage.

Un coussin pour le confort de leur mère.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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