Antoine Cardinal cherchait des solutions de rechange aux placements tradionnels lorsqu’il a pris la décision de se tourner vers une plateforme de prêts entre particuliers pour investir plus tôt cette année.

« Je cherchais un véhicule d’investissement pour diversifier mes placements. J’ai quelques fonds d’actions, mais je voulais essayer d’éliminer des intermédiaires », dit l’homme de 31 ans.

Ce résidant de l’ouest de l’île de Montréal avait déjà de l’expérience avec une plateforme non traditionnelle. Il avait ouvert un compte chez un robot-conseiller pour l’aider à gérer ses avoirs personnels. « J’avais investi avec Wealthsimple dans le passé », dit-il en faisant allusion à l’entreprise de technologie financière (fintech) dont le conglomérat financier montréalais Power Corporation est actionnaire.

Il n’avait toutefois encore jamais utilisé une plateforme de prêts entre particuliers.

Le prêt de pair-à-pair (P2P) met en relation une personne à la recherche d’un prêt avec une ou des personnes cherchant à investir. C’est un moyen d’investir dans les prêts à la consommation et d’encaisser un revenu passif mensuel (des intérêts) comme le font les banques.

« Pour les prêteurs, le P2P est une façon de diversifier l’épargne. Ça vient généralement avec un taux de rendement plus élevé que celui d’un compte d’épargne, mais aussi avec un risque plus élevé », affirme Jean-Philippe Vergne, professeur à l’École de gestion de l’University College London, au Royaume-Uni.

« Ça donne aussi aux prêteurs la possibilité de financer des prêts sur la base de valeurs personnelles ou en voulant aider des gens à atteindre des objectifs précis, bien que je doute que ce soit la motivation principale. »

PHOTO FOURNIE PAR JEAN-PHILIPPE VERGNE

Jean-Philippe Vergne, professeur à l’École de gestion de l’University College London, au Royaume-Uni

Ce spécialiste des entreprises de technologies financières ajoute que l’époque des prêts P2P non réglementés est révolue. « Les réglementations varient encore d’une juridiction à l’autre, mais elles sont désormais bien connues, comprises et relativement stables. En fait, la réglementation a incité de nombreuses plateformes de prêts P2P à s’ajuster en acquérant une licence bancaire [par exemple, Lending Club aux États-Unis] ou à se retirer complètement du secteur », dit-il.

« Après une période de relatif laissez-faire de 2006 à 2012, les régulateurs au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis ont réellement clarifié les règles du jeu au fil des années », précise cet expert.

« La réglementation est plus stricte pour les prêts P2P car les plateformes proposent des contrats d’investissement, ce qui s’accompagne à juste titre d’obligations strictes. »

Pas de loi spécifique

À mesure que l’industrie du financement de remplacement se développe au Canada, la réglementation de l’industrie continue de s’étoffer. L’Autorité des marchés financiers (AMF) a dans le passé publié des avis afin de clarifier sa position quant aux plateformes des prêts entrer particuliers.

Le plus récent avis de l’AMF date de 2017 et résulte des recommandations formulées par un groupe de travail consacré aux fintechs créé dans le but d’analyser le développement de ces sociétés et d’anticiper les enjeux qui pourraient se poser en matière de réglementation et de protection des consommateurs.

Au Québec, il n’existe toutefois toujours aucun encadrement législatif spécifique à l’égard des plateformes P2P et l’AMF poursuit ses travaux d’analyse au sujet du développement d’un encadrement législatif ou réglementaire adapté aux plateformes de prêts. Celles-ci peuvent toutefois être soumises à des obligations en vertu de certaines des lois administrées par l’AMF, notamment la Loi sur les valeurs mobilières.

Et il est de la responsabilité de la plateforme de s’assurer du respect des exigences de la réglementation en valeurs mobilières applicables. « Nul n’est censé ignorer la loi », dit Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF.

Plus de risque

Jean-Philippe Vergne souligne que les plateformes de prêts P2P proposent des prêts non garantis, ce qui signifie que les défaillances frappent durement les prêteurs.

Il existe deux types d’échecs. L’entreprise qui exploite la plateforme peut faire faillite, sans que les prêts eux-mêmes ne soient des prêts irrécouvrables. Dans ce cas, un tiers pourrait reprendre les prêts et les prêteurs pourraient finir par récupérer leur investissement.

Il y a aussi un risque que les emprunteurs manquent à leurs obligations en grand nombre (si un choc économique devait survenir, par exemple), auquel cas les prêteurs ne sont plus payés et l’opérateur de la plateforme se retrouve à courir après les emprunteurs. « Cette situation entraîne une augmentation des frais juridiques, une mauvaise réputation et, souvent, la faillite de l’opérateur de la plateforme en raison de l’augmentation des coûts et de la diminution des revenus », dit Jean-Philippe Vergne.

Il est donc conseillé aux prêteurs qui utilisent les plateformes de prêts P2P de n’investir qu’une fraction de leurs économies afin de rester diversifiés, et de répartir leurs investissements sur plusieurs plateformes réputées afin d’atténuer le risque de faillite de l’opérateur de la plateforme.

Jean-Philippe Vergne, professeur à l’École de gestion de l’University College London, au Royaume-Uni

Si une évolution est observée au fil des années malgré le nombre relativement peu élevé d’entreprises dans le secteur, Sylvain Théberge soutient que le P2P n’a pas connu l’expansion que l’on aurait pu envisager en 2007-2008, moment où ce phénomène commençait à se manifester. Cette affirmation n’est toutefois pas appuyée par des données précises, simplement par une impression de l’époque, précise le porte-parole de l’AMF.

Les autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) soutiennent qu’il est difficile de chiffrer précisément le nombre de plateformes P2P au pays, car pour en arriver à un nombre précis, il faudrait vérifier la liste de tous les courtiers sur le marché dispensé.

Une plateforme P2P pourrait très bien aussi faire du financement participatif (crowdfunding) et être ainsi inscrite ou dispensée d’inscription comme plateforme de crowdfunding auprès d’un régulateur.

Une porte-parole de l’ACVM affirme néanmoins qu’il n’y a que très peu de plateformes faisant uniquement du P2P au pays. « Par exemple, il y a 10 plateformes de crowdfunding inscrites au Canada, dont certaines font ou pourraient faire du P2P », dit Ilana Kelemen, cette porte-parole.

Ce qu’un investisseur doit savoir

Il ne s’agit pas d’un placement très liquide. L’investisseur ne peut ravoir son argent par anticipation et la durée des prêts est généralement de trois ou cinq ans. Les paiements des emprunteurs sont toutefois immédiatement distribués aux investisseurs. Les versements sont envoyés toutes les deux semaines. L’élément le plus important pour un investisseur est possiblement de bien diversifier son placement sur un grand nombre de prêts afin de diminuer son risque.