Sylvain* voit venir sa prochaine retraite avec « une certaine insécurité ». C’est pourquoi il veut prendre le problème à rebours.

La situation

Âgé de 58 ans, Sylvain prévoit de prendre une retraite (bien méritée, bien sûr) dans cinq ans.

« Je m’aperçois que pour mes placements, je n’ai plus 10 à 15 ans devant moi pour me racheter si jamais je suis à la baisse », confie-t-il.

Le coût de la vie ne le rassure pas non plus. « L’inflation qui frappe de plein fouet me laisse perplexe sur la valeur que vaudra chaque dollar amassé pour ma retraite. »

Jusqu’à un récent changement d’emploi, il bénéficiait d’un régime de retraite à prestations déterminées. Cette rente, non coordonnée aux régimes publics, s’élèvera à 1800 $ par mois sans pénalité à partir de 63 ans.

« Je me trouvais très chanceux, mais la prestation n’est pas indexée, commente Sylvain. Cet argent-là va valoir combien dans 15 ans ? »

Chez son nouvel employeur, le régime de retraite est à cotisations déterminées.

À raison de 18 % de son salaire de 101 000 $, 18 000 $ y sont versés chaque année. Il y détient quelque 30 000 $ à l’heure actuelle.

Par ailleurs, il verse chaque mois 300 $ de son salaire dans un fonds de travailleurs, où il a accumulé 8500 $.

Sylvain détient 92 000 $ en CELI, 106 000 $ en REER et 23 000 $ comptants.

Sa conjointe Carole, âgée de 57 ans, touche un revenu de 40 000 $. Son employeur cotise à un fonds de travailleur qui lui versera 600 $ par mois à partir de 65 ans.

L’un et l’autre prévoient de toucher leurs prestations du RRQ et de la Sécurité de la vieillesse à 65 ans.

Selon leurs plus récents relevés de la RRQ, Sylvain et Carole devraient respectivement encaisser des rentes de 1200 $ et de 750 $ par mois à 65 ans.

Ils habitent un condo d’une valeur d’environ 300 000 $, entièrement payé.

LES CHIFFRES

Sylvain, 58 ans

  • Salaire : 101 000 $
  • Rente RRQ à 65 ans : 1200 $/mois
  • Rente de retraite à prestations déterminées : à 63 ans, 1800 $/mois, non indexée
  • REER : 106 000 $
  • CELI : 92 000 $
  • Fonds de travailleurs : 8500 $
  • Épargne non enregistrée : 23 000 $
  • Régime de retraite à cotisations déterminées : 30 000 $ en caisse

Carole, 57 ans

  • Salaire : 40 000 $
  • REER (cotisation du conjoint) : 10 000 $
  • Rente RRQ à 65 ans : 750 $/mois
  • Rente de retraite à 65 ans : 600 $/mois

Condo

Valeur de 300 000 $, entièrement payé

Planifier à l’envers

« Je trouve que c’est toujours difficile pour les gens d’aller voir un planificateur financier qui leur dit : “Quel est ton budget de retraite ?” Tu fais un budget et en fin de compte, il te dit que tu n’as pas assez d’argent ou que tu as un surplus, et tu réajustes et tu réajustes encore », déclare Sylvain.

« Je voudrais faire l’inverse, soit adapter mon budget selon ce que j’aurai comme montant mensuel à la retraite. »

D’où une question liminaire : « Combien puis-je penser avoir comme somme mensuelle brute (nette si possible) à 63 ans ? »

Puis une question subordonnée.

Sylvain est asthmatique depuis l’enfance. « Je vois déjà ma capacité pulmonaire qui donne des petits signes de faiblesse, ce qui me fait m’interroger sur mon espérance de vie : quel âge devrait être utilisé pour les calculs ? »

Et enfin une dernière interrogation : « J’avais déjà mis 10 000 $ dans le REER de ma conjointe. Est-ce que je devrais continuer comme ça, vu que son salaire est plus bas, et maximiser ce véhicule pour avoir un meilleur fractionnement de revenu à la retraite ? »

La réponse

Le planificateur Martin Dupras, président de ConFor financiers, a posé le problème dans le sens voulu par Sylvain.

« Nous viserons un pouvoir d’achat uniforme, c’est-à-dire un revenu net indexé à l’inflation », indique-t-il en point de départ.

Jusqu’à quel âge ?

Combien de bougies ?

En raison de son asthme, Sylvain s’interroge sur son espérance de vie. Combien soufflera-t-il de bougies ?

Pour un homme québécois de 65 ans, elle était de 19,6 ans en 2022, ce qui le mène presque à 85 ans.

« L’espérance de vie correspond essentiellement à l’âge auquel 50 % des membres d’un groupe homogène (de même sexe et de même âge) sont encore en vie », explique Martin Dupras.

« Tabler simplement sur l’espérance de vie comme âge d’épuisement du capital implique donc de mettre en place un plan financier qui a 50 % de probabilité de ne pas tenir la route », dans le cas malheureux où cette personne ferait partie de la cohorte des survivants.

Dans ses Normes d’hypothèses de projection 2023, l’Institut de planification financière (anciennement IQPF) recommande plutôt d’utiliser comme ultime horizon l’âge auquel on n’a plus qu’une chance sur quatre (ou 25 %) d’être encore en vie – 94 ans pour un homme de 58 ans et 96 ans pour une femme de 57 ans, selon les tables de l’IPF.

Quand il s’agit d’un couple qui partage ses rentes et épargnes de retraite, on retient plutôt l’âge auquel il reste 25 % de probabilité que l’un ou l’autre des deux conjoints soit encore en vie. Soit 98 ans pour un couple de quinquagénaires.

En vertu de l’état de santé de Sylvain, faudrait-il retrancher quelques années à cette échéance ?

« La condition de Sylvain ne me semble pas assez sévère pour justifier une période de décaissement plus courte, répond Martin Dupras. Dit autrement, la survie me paraît être un plus grand risque financier à gérer qu’un décès plus tôt que prévu. »

Bref, soyons optimistes et visons loin.

Un pouvoir d’achat indexé

Martin Dupras maintient donc un pouvoir d’achat uniforme jusqu’au 98e anniversaire de Sylvain, moment où les actifs s’épuisent.

Toujours en s’appuyant sur les normes de l’IPF, il pose un rendement annuel net de 4 % sur les actifs et un taux d’inflation annuel de 2,10 %. Rappelons que ce sont des taux qui s’appliquent pour toute la durée de la projection, et non seulement en ces années difficiles.

Le planificateur présume également que pour réduire le fardeau fiscal, les deux conjoints partageront leurs revenus de pension admissibles – régime de retraite et retraits du FERR à partir de 65 ans – ainsi que les prestations du RRQ.

Dans ces calculs, Martin Dupras suppose que ces dernières seront touchées à partir de 65 ans, selon les vœux de Sylvain et de Carole.

« De nouvelles dispositions du RRQ entreront en vigueur au 1er janvier 2024, qui auront possiblement comme impact de favoriser le report des prestations après 65 ans », souligne le planificateur.

À l’approche de 65 ans, de nouveaux calculs pourront être effectués selon cette éventualité.

Mais dans les conditions actuelles, « les actifs détenus, les cotisations prévues d’ici la retraite, les rentes de régimes de retraite privés et les rentes gouvernementales permettront au couple de maintenir un pouvoir d’achat de 62 500 $ pour toute la durée de la projection », annonce-t-il.

Un revenu après impôts et indexé à l’inflation, précise le planificateur.

Fort bien. Mais les dépenses seront-elles du même ordre de grandeur ?

Sylvain devra tout de même se soumettre à l’exercice qu’il redoute : estimer son budget de retraite.

S’il excède ces 62 500 $, d’autres possibilités « pourraient être analysées, notamment travailler plus longtemps (y compris travailler à temps partiel durant la retraite), épargner plus d’ici la retraite, monnayer la résidence principale (qui est ignorée à ce moment) », avance Martin Dupras.

Cotiser au REER du conjoint ?

Pour réduire la future ponction fiscale, Sylvain devrait-il cotiser au REER de sa conjointe plutôt qu’au sien, soit l’équivalent des 300 $ qu’il verse chaque mois dans un fonds de travailleurs ?

Étant donné l’écart des revenus imposables actuels et des revenus prévus à la retraite, cette manœuvre entraînerait probablement des bénéfices, en effet.

Des bénéfices mineurs, cependant. Les sommes en jeu sont peu élevées – des cotisations annuelles de 3600 $ pendant cinq ans – et « nous fractionnerons déjà, à hauteur de 50 %, les prestations du régime de retraite de Sylvain et les retraits FERR de Sylvain à partir de ses 65 ans », souligne Martin Dupras.

Si Sylvain et Carole sont conjoints de fait, « en termes de gestion de risque, une séparation pourrait avoir de regrettables conséquences sur les sommes cotisées au REER du conjoint », prévient par ailleurs notre conseiller.

S’ils sont mariés ou en union civile, la somme versée au REER du conjoint, comme tous leurs REER, fera partie du patrimoine familial partageable en cas de divorce. « Mais en union de fait, l’argent, à la seconde qu’il est cotisé, appartient légalement à l’autre. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.