Une agence de recouvrement montréalaise a contrevenu à la loi pour récupérer la dette qu’un jeune client avait contractée envers Desjardins, a récemment tranché la justice.

La firme Aro tentait de joindre le Lavallois de 20 ans en appelant sa mère, une pratique interdite par la loi, a tranché la Cour du Québec, dans un rare jugement sur l’industrie de la perception de dettes.

Le dossier de cour révèle aussi que l’agence de recouvrement a dirigé le jeune homme vers un service de prêt à court terme, afin que celui-ci contracte un second emprunt pour rembourser la coopérative financière. Une stratégie qui « choque » Option consommateurs, une organisation de défense du public. Le site internet d’Aro oriente aussi les personnes endettées vers des prêteurs alternatifs.

« Aro avait une interprétation différente d’un article précis de la loi sur le recouvrement. Nous n’avons pas réussi à convaincre ni l’Office de protection du consommateur ni la cour de cette interprétation », a affirmé le propriétaire de l’entreprise, Michael Ogilvie. « À la réception de la décision, nous avons immédiatement ajusté le tir et avons procédé à une formation de notre personnel dans le but d’éliminer toute récidive. »

Aro, entreprise québécoise fondée en 1994, exploite des bureaux à Montréal, mais aussi en Ontario, en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve-et-Labrador. Elle récupère plusieurs millions en dettes annuellement, selon les documents judiciaires.

« Les agences de recouvrement partenaires de Desjardins doivent respecter la loi », a indiqué Desjardins par courriel. « Nous venons de prendre connaissance du jugement de la Cour du Québec concernant la firme Aro inc. […] Nous allons analyser le jugement et agir en conséquence. »

Dirigé vers un deuxième prêt

C’est en août 2020 qu’Aro contacte le jeune Lavallois, afin de récupérer une somme impayée de près de 3000 $ sur une carte de crédit Desjardins.

Le principal intéressé propose de faire un paiement immédiat de 500 $, puis de faire des « paiements mensuels entre 200 et 300 $ », selon l’enregistrement de l’appel diffusé pendant le procès. L’agent de recouvrement prend note de la proposition, mais « n’est visiblement pas ouvert à cette idée », note la décision de justice, datée du 25 janvier. Il le dirige plutôt vers Fairstone, une firme de prêts personnels : « eux, ils font des prêts deuxième chance au crédit ». Objectif : payer la première dette en en contractant une seconde.

« Je sais comment ça marche, je ne veux pas me faire une dette auprès de quelqu’un d’autre », affirme le jeune homme, refusant cette option et insistant pour que sa proposition soit considérée. « Ce n’est pas se faire une dette avec quelqu’un d’autre, vous prenez une mauvaise dette qui est en recouvrement et vous la convertissez en bonne dette sur laquelle vous allez faire vos paiements réguliers », lui réplique l’agent de recouvrement. L’appel se termine sans qu’une décision définitive soit prise.

Michael Ogilvie, d'Aro, n’a pas voulu commenter cet aspect du dossier.

« Pour les consommateurs, rembourser une dette par une autre dette, c’est rarement une bonne solution », a commenté MSylvie de Bellefeuille, d’Option consommateurs. L’avocate a fait valoir qu’une dette qui atterrit sur le bureau d’une agence de recouvrement est déjà associée à une cote de crédit tellement basse qu’elle ne peut habituellement pas descendre davantage.

« Ça me choque », a-t-elle ajouté, évoquant toutefois la possibilité que Desjardins ait été tenue dans l’ignorance par l’agence de recouvrement.

Appels illégaux

C’est toutefois pour les appels à la mère du jeune homme endetté qu’Aro et son employé ont été reconnus coupables au pénal.

La femme, qui ne vivait plus avec son fils depuis quelques années, a parlé au téléphone avec l’agence à deux reprises et a été contactée au moins une autre fois sans qu’elle réponde, selon son témoignage à l’audience.

Après le troisième appel, « la coupe était pleine, alors j’ai porté plainte avec l’aide de l’Office de la protection du consommateur », a-t-elle relaté devant la justice.

La loi prévoit qu’une agence de recouvrement ne peut contacter les proches d’une personne visée. Seule exception : une communication unique est permise si l’agence n’a pas de coordonnées au dossier.

« Le Tribunal est d’avis qu’Aro, par l’entremise de son représentant, […] a communiqué illégalement avec un membre de la famille » du débiteur, a tranché la juge de paix Julie Laliberté, dans une décision de 30 pages. Aro et son employé « n’ont pas réussi à démontrer […] qu’ils ont fait preuve d’une diligence raisonnable pour éviter de commettre les infractions reprochées ».

C’est Aro qui avait demandé au jeune homme de fournir un deuxième numéro de téléphone pour le joindre. Il avait mentionné qu’il s’agissait du numéro de sa mère.

Aro faisait valoir que comme le jeune homme avait donné ce numéro, les appels en cause constituaient des tentatives pour le joindre lui, plutôt que sa mère. Elle affirmait aussi « que la preuve démontre tout au plus que ces contacts téléphoniques avaient pour but de joindre le débiteur et non de recouvrer une créance ».