Quand elle a vendu 400 articles de cuisine en une seule journée, à ses débuts, Marilou Bourdon a senti qu’elle tenait quelque chose. Et ce quelque chose, 10 ans plus tard, est devenu un véritable phénomène marketing.

La femme de 33 ans, aux horaires de premier ministre, dirige aujourd’hui une PME prospère, dont le centre est sa boutique virtuelle Trois fois par jour. La clientèle y est d’abord attirée par les vidéos gratuites de recettes alléchantes, dont elle est la protagoniste, mais la visite du site mène vers les produits pour la maison qui y sont offerts.

Nappes, tasses à espresso et tabliers ont été choisis avec soin, visiblement, et les photos léchées du site les mettent bien en valeur. Tous ces produits ont un point en commun : ils sont fabriqués ici, au Québec.

J’étais l’un des sceptiques, au départ, quand mon patron m’en a parlé. Comment cette chanteuse à temps partiel, qui n’a pas terminé sa 5secondaire, peut-elle avoir du succès en affaires ? Surtout dans le créneau fort occupé des recettes de cuisine ?

Certains de ses proches ont aussi été effrayés par les risques qu’elle a pris, m’explique Marilou Bourdon en entrevue. Mais Marilou, comme elle se fait appeler, a fait à sa tête, confiante en son flair.

Un exemple ? Lors de la vente de son premier livre de recettes, vers 2014, elle a aussi proposé un support à livre en merisier, fabriqué par un ébéniste. Résultat : elle a vendu 1000 supports durant la première journée, affirme-t-elle, et 20 000 dans l’année ! Le support se vend tout de même 39,95 $ (aujourd’hui).

Le volume de produits en bois de l’entreprise est tel qu’il occupe maintenant l’ébéniste Yves Guillette à temps plein, dit-elle.

Tout a commencé, paradoxalement, dans une période où Marilou avait des troubles alimentaires, il y a 10 ans, en plus de vivre « une crise existentielle au niveau musical ».

J’entreprenais une guérison et j’avais recommencé à manger trois fois par jour. Je me suis dit : je vais faire un site où les recettes vont être tellement belles qu’on va oublier la maladie, on va se pitcher dans l’assiette on ne va pas penser aux calories.

Marilou

« Les femmes, on a toutes une relation un peu fuckée avec la bouffe. On va tous, un soir, quelque part, manger nos émotions ou encore se priver. Traiter de cette question dans mes capsules, ça parle aux gens », me dit Marilou, dont la clientèle est surtout composée de femmes de 25 à 40 ans, souvent de jeunes mères.

Depuis, Marilou a produit cinq livres de recettes, dont les ventes totalisent un demi-million d’exemplaires. Et elle a greffé de nouveaux produits à sa liste, comme les huiles à diffuser aux multiples odeurs et les bougies, qui sont vendues respectivement 11,95 $ et 16,95 $.

La femme d’affaires a également conclu une entente avec la firme Plaisirs gastronomiques, notamment, pour produire des prêts-à-manger de marque Trois fois par jour. Les poulet aux olives, porc effiloché et gâteaux tirés des recettes de l’entreprise, entre autres, se trouvent maintenant dans toutes les grandes épiceries du Québec, Costco compris.

Marilou obtient des redevances de 3 % à 15 % sur les ventes, mais n’assume pas les pertes des produits périmés et prend donc très peu de risque. Et ça marche : par exemple, 60 000 bûches de Noël de l’entreprise, produites par Pâtisserie Jessica, trouvent preneur, bon an, mal an.

L’image de marque, Marilou dit y avoir travaillé avec soin. Le visuel, les goûts, les odeurs. « Les gens aiment la marque, car il n’y a pas de surstimulis, c’est beau, épuré, ça fait appel au cœur », me dit l’unique actionnaire de l’entreprise, qui refuse de dévoiler son chiffre d’affaires.

Il faut dire que la marque Trois fois par jour est soutenue par la notoriété de Marilou. Toutes les activités de la femme d’affaires, que ce soit ses publicités avec Hyundai ou le lancement de son dernier album, finissent par servir les activités commerciales de Trois fois par jour.

Pour attirer la clientèle, Marilou a choisi de faire une faible marge de profit sur ses produits durant les premières années, puis de les augmenter graduellement.

La rentabilité a été possible grâce à son obsession pour les coûts fixes, qu’elle tient encore au minimum. Le fait d’être un commerce sur le web, par exemple, lui permet d’éviter la location de nombreux locaux coûteux dans des centres commerciaux, ce qui ne l’empêche pas d’avoir 800 000 visiteurs uniques par mois sur son site.

Son entreprise compte 10 employés permanents, mais une vingtaine de contractuels, qu’ils soient photographes, stylistes, chefs cuisiniers ou rédacteurs.

Son volume de produits l’a incitée à faire l’acquisition d’un entrepôt de 14 000 pieds carrés il y a 18 mois, à Longueuil, pour la somme de 1,9 million de dollars. Le bâtiment est financé par Desjardins et Investissement Québec. Elle a aussi une boutique physique à Longueuil dans un autre local.

Dernier succès sans frais fixes : son entente avec Sobeys (IGA) pour les 100 Rachelle Béry du Québec⁠1. Depuis trois mois, l’entreprise Trois fois par jour y vend des produits non alimentaires, tels les bougies, crèmes pour les mains, gels moussants et huiles essentielles, développés par Marilou.

« C’est inespéré, les ventes. Eux aussi n’en reviennent pas », soutient Marilou.

Sobeys confirme : « C’est un très beau succès pour les trois premiers mois de vente », me dit la porte-parole, Anne-Hélène Lavoie.

Marilou ne compte pas pour autant délaisser les réseaux sociaux. En plus de ses infolettres et de ses pages Instagram et Facebook, l’entreprise fait maintenant du marketing par textos, grâce à une base de données de 50 000 numéros de téléphone.

Un phénomène marketing, que je vous disais. Comment évoluera-t-il ? C’est à voir. Chose certaine, Marilou tient son entreprise bien en selle.

1. Sur les 100 Rachelle Béry, 10 sont des magasins indépendants et 90 sont des unités à l’intérieur des magasins IGA.