Les Canadiens déverrouillent leurs iPhones avec leur empreinte digitale depuis 2013 et sont parfois exposés à des logiciels de reconnaissance faciale avant de monter à bord des avions, mais en matière de technologie biométrique, Erik Scheme et Mayssa Rekik ont une longueur d’avance.

Le directeur associé de l’Institut de génie biomédical de l’Université du Nouveau-Brunswick et l’étudiante de premier cycle en technologies de pointe font partie d’une équipe de recherche sur ce que pourrait être l’avenir de la sécurité biométrique : les pas.

Ils ont installé des tuiles électroniques de la compagnie Stepscan Technologies, de l’Île-du-Prince-Édouard, dans leur laboratoire universitaire et dans le hall du Cyber Centre de Fredericton pour générer une carte thermique, pixel par pixel, de la répartition de la pression dans les pieds d’une personne pendant qu’elle marche.

Les données du talon aux orteils qu’ils capturent aideront à développer des modèles 3D des personnes marchant sur les tuiles et des cadres d’apprentissage en profondeur qui peuvent différencier la marche d’une personne d’une autre, pour identifier les individus en fonction de leur démarche.

« Qu’il s’agisse de chaussures différentes, de porter différents objets ou de marcher de manière distraite, nous essayons de créer le plus grand ensemble de données au monde à mettre à la disposition de la communauté des chercheurs, afin que nous puissions faire avancer cette discipline », a affirmé M. Scheme.

L’intérêt pour la technologie biométrique, qui repose sur des caractéristiques physiques uniques telles que la démarche, la rétine, le visage, le rythme cardiaque ou la voix d’une personne, augmente en partie parce que la plupart des entreprises s’appuient sur des clés, des cartes, des numéros d’identification personnels ou du personnel pour sécuriser l’accès à leurs espaces ou systèmes.

Ces méthodes obligent souvent les personnes à fouiller dans les sacs pour trouver des clés et des cartes, à essayer de se rappeler des mots de passe, ou à demander l’aide d’administrateurs du système ou d’agents de sécurité, lorsqu’ils sont sans moyen d’entrée.

Certaines entreprises ont essayé de se débarrasser de ces méthodes en se tournant vers les numériseurs d’empreintes digitales et faciales, mais aucun n’est totalement infaillible.

Les conditions d’éclairage, les masques et d’autres accessoires peuvent défier les numériseurs faciaux, tandis que les personnes portant des gants et celles souhaitant éviter de toucher des surfaces supplémentaires dans un monde conscient de la COVID-19 posent des difficultés pour les systèmes basés sur les empreintes digitales.

« La démarche crée une opportunité intéressante, car non seulement elle est sans contact, vous n’avez même pas besoin de vous arrêter, vous continuez simplement à marcher et nous pouvons vous authentifier de cette façon, a expliqué M. Scheme. C’est une nouvelle modalité. »

Mayssa Rekik, qui est venu au Canada depuis la Tunisie pour trois mois afin d’aider à travailler sur le projet sur la démarche, avec l’aide de l’organisme de recherche à but non lucratif Mitacs, voit plusieurs utilisations évidentes pour la technologie.

« Ce serait vraiment utile pour des raisons de sécurité et cela pourrait être utilisé pour les aéroports ou pour l’entrée d’un bâtiment », a-t-elle évoqué.

Alors que les banques étaient autrefois parmi les secteurs les plus intéressés par la technologie en raison du nombre important de données sensibles qu’elles traitent, l’enthousiasme pour les systèmes biométriques s’est grandement tempéré récemment, a déclaré Imran Ahmad.

Le responsable de la technologie du cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright a attribué le recul à une vague de litiges et de controverses aux États-Unis concernant de l’utilisation de la biométrie.

San Francisco et Oakland, en Californie, ainsi que Somerville, dans le Massachusetts, ont interdit l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale par les agences municipales en 2019. De nombreuses interdictions ont été émises à la suite de problèmes rencontrés par la technologie pour reconnaître les femmes et les populations racialisées.

« En ce moment, c’est une sorte de modèle. Attendons et voyons, comme où cela va-t-il aller au Canada ? », a-t-il dit.

Les préoccupations concernant la biométrie expliquent en partie pourquoi l’équipe de M. Scheme a adopté une approche prudente dans ses recherches.

Les employés du Cyber Center qui marchent sur les carreaux devaient d’abord donner leur consentement individuel pour faire partie de la recherche, tout comme un deuxième groupe qui visite le laboratoire pour des tests plus spécialisés, où leurs données sont collectées lorsqu’ils marchent pieds nus, dans des chaussures spécifiques, ou en portant un sac à dos ou une mallette.

Dans les deux scénarios, toutes les données sont anonymisées, ce qui signifie qu’elles sont dépouillées de leurs informations personnelles et utilisées dans le cadre d’un référentiel anonyme plus large.

L’équipe espère que la recherche devienne la base des futures innovations biométriques en aidant à déterminer à quel point notre démarche est unique, et si la technologie peut détecter des changements lorsque nous rencontrons des obstacles ou même lorsque nous changeons de chaussures.

« Certes, si vous tombez et vous vous cassez une jambe, il va probablement y avoir un problème de la même manière que si vous utilisez un système d’empreintes digitales et que vous vous coupez le pouce, il ne fonctionne plus non plus », a déclaré M. Scheme.

Il pense que les modèles d’apprentissage machine apprendront éventuellement quelles caractéristiques de notre démarche ne changent pas même si quelqu’un marche soudainement en boitant, ralentit son rythme, ou même, abandonne ses talons hauts au profit de chaussures de course, le midi.

Toutefois, avant que la biométrie basée sur la démarche puisse entrer dans les bureaux ou d’autres endroits nécessitant un accès sécurisé, les entreprises doivent tenir compte des lois et d’autres réglementations.

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, par exemple, a élaboré des lignes directrices exigeant que toute personne recueillant des informations sensibles, y compris des données biométriques, obtienne d’abord un consentement explicite et significatif, a souligné M. Ahmad.

Au Québec, toute personne créant une base de données de caractéristiques ou de mesures biométriques doit en divulguer l’existence à la commission d’accès à l’information de la province au moins 60 jours avant sa mise en service.

M. Ahmad soupçonne que d’autres réglementations sont en voie d’être adoptées. Bien qu’ils accordent une pause supplémentaire, il ne pense pas qu’ils sonneront le glas de la technologie.

« La biométrie est là pour de bon, a-t-il déclaré. Ce n’est pas quelque chose auquel nous allons simplement tourner le dos. Cela fera partie de nos vies. »