À l’image des États-Unis, Ottawa veut convaincre les principales entreprises technologiques canadiennes de souscrire volontairement à un code de conduite pour éviter les dérives de l’intelligence artificielle. Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a profité de l’ouverture du sommet ALL IN à Montréal mercredi pour faire cette annonce.

Quelques entreprises, notamment OpenText et Cohere, font déjà partie des signataires de ce « code de conduite volontaire pour encadrer les systèmes d’IA générative avancés ». Ce code non contraignant s’articule autour de six principes, dont l’objectif est de « d’assurer aux Canadiens que l’IA qu’ils utilisent est sécuritaire », a déclaré le ministre.

Les entreprises signataires doivent notamment s’engager à mettre en place des systèmes de gestion des risques, à repérer les biais, à être transparentes dans leur utilisation de l’IA, que des humains surveillent les activités et que ces systèmes soient fiables et sécuritaires.

« C’est un code volontaire, a convenu le ministre Champagne en point de presse peu après l’annonce. C’est un peu comme ce qui avait été fait aux États-Unis : vous vous rappellerez peut-être que le président Biden avait demandé aux géants de la technologie de venir à Washington, de souscrire à un code. »

« Un pas important » pour Bengio

La principale pièce législative du gouvernement Trudeau en matière d’encadrement de l’IA, la loi C-27, a été déposée en juin 2022. Elle est présentement étudiée par le Comité permanent de l’industrie et de la technologie et ne sera vraisemblablement pas adoptée avant plusieurs mois.

Le Canada sera probablement le premier pays au monde à avoir une loi qui va encadrer la protection des renseignements personnels et l’IA. Mais avant, on voulait se doter d’un code.

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Présent sur scène au moment de l’annonce, le chercheur et sommité mondiale de l’IA Yoshua Bengio a insisté sur l’importance que les décisions concernant cette technologie ne se prennent pas « derrière des portes closes, sous la pression des marchés ». Il estime que ce code de conduite est « un pas important dans cette direction ».

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Pour le chercheur et sommité mondiale de l’IA Yoshua Bengio, ce code de conduite est « un pas important » vers un meilleur contrôle de cette technologie.

« C’est vraiment important qu’on investisse et qu’on protège le public, pour s’assurer que l’IA travaille pour le bien général de la société, a-t-il ajouté. Et il faut qu’on le fasse avec nos partenaires internationaux, parce que l’IA n’a pas de frontière. »

Reconnue comme un pôle mondial de la recherche universitaire en IA, Montréal a été une pionnière en matière d’éthique dès 2017, année de la publication de la « Déclaration de Montréal pour un développement responsable ». Plus récemment, en mars 2023, M. Bengio a été l’un des promoteurs les plus actifs d’un moratoire de six mois sur la recherche, une pétition signée par des dizaines de milliers d’experts et de sommités dans le monde.

Vers une fracture créative

Ces préoccupations liées à l’IA ont été bien présentes mercredi dans la programmation d’ALL IN, un sommet qui en était à sa première édition et présenté comme « le plus grand rassemblement canadien sur l’IA ». On a annoncé en matinée que plus de 1400 personnes s’étaient inscrites au sommet, dont la plupart des conférences pouvaient par ailleurs être suivies en ligne.

Deux conférences, en particulier, ont traité des impacts de l’IA sur la culture et des bouleversements vécus par les créateurs. Le philosophe, éditeur et entrepreneur argentin Octavio Kulesz a notamment évoqué une « fracture créative » d’un type nouveau, rendue plus grave avec l’avènement d’IA génératives comme Chat GPT ou Dall-E.

« On disait, dans les années 90 et 2000, que tout le monde, pays riches ou non, était également créatif. Le problème maintenant avec ces technologies génératives, c’est que les pays développés ont accès à des structures technologiques beaucoup plus riches que les pays en développement. Les gens qui n’ont pas accès à ces machines seront moins créatifs. »

Les liens entre l’IA et la culture vont dans les deux sens, a-t-il expliqué : l’IA peut créer des œuvres, mais elle est entraînée à la base par des écrits, des images, des chansons ou des vidéos produits par des humains. « Il s’agit d’un impact réciproque […] La culture est un “ output ”, mais également un “ input ”. Si on creuse plus, on voit que la véritable pionnière n’est pas la science, mais l’art, la culture. »