Si le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, s’est réjoui du rapport sur la découvrabilité déposé mercredi, affirmant qu’il confirmait que « le Québec a les moyens de protéger sa culture » sur le plan législatif, les milieux de la musique et de la production médiatique font preuve d’un optimisme prudent, soulignant que le comité d’experts a fait « un travail de fond » et « à la hauteur des défis » actuels.

« Quand je suis arrivé, l’une des premières constatations que j’ai faites, c’est que si on veut freiner le recul du français, si on veut être capables de protéger notre culture, il fallait poser un geste fort. Ce geste-là, dans mon esprit, c’était de légiférer pour être capables d’encadrer les grandes plateformes pour qu’il y ait plus de contenu québécois, a rappelé Mathieu Lacombe en mêlée de presse mercredi. J’ai mandaté les experts qui, aujourd’hui, nous disent que sur ce point-là, le Québec a les moyens. »

L’analyse de la capacité du Québec à légiférer pour assurer sa souveraineté culturelle occupe une part conséquente du rapport La souveraineté culturelle à l’heure du numérique, déposé mercredi. Il est aussi beaucoup question de la nécessaire concertation avec Ottawa, qui détient une partie des clés de la culture, notamment en raison de sa compétence en matière de télécommunications et de radiodiffusion, compétences qui chapeautent les plateformes de diffusion de contenu musical et audiovisuel comme Netflix et Spotify, qui ont complètement chamboulé l’écosystème de la culture et du divertissement ces dernières années.

L’objectif du rapport sur la découvrabilité visait à conseiller le ministre de la Culture et des Communications sur les gestes à faire pour que le contenu culturel d’ici ne soit pas seulement offert sur les plateformes numériques internationales, mais bien visible. Ce qui constitue tout un défi.

Environ 120 000 pièces musicales sont déposées chaque jour sur les sites comme Spotify et AppleMusic, par exemple. L’offre de musique québécoise francophone s’y trouve donc noyée : le contenu original en langue française représente seulement 5,3 % des pistes écoutées en ligne au Québec, est-il rappelé dans le document.

L’ADISQ, qui voit dans cette situation une menace à la survie de notre culture, a accueilli le rapport d’expert d’un œil favorable, dans la mesure où il prend acte de la très faible consommation de contenu québécois en ligne et vise à en améliorer la découvrabilité. « Ça m’apparaît un travail de fond, a dit Ève Paré, directrice générale de l’association de producteurs. Les bonnes questions sont posées, les recommandations couvrent très large. »

Contenu francophone

La première recommandation du groupe d’experts plante le cadre : il est question de centrer les actions du Québec sur « la promotion et la découvrabilité des contenus culturels d’expression originale de langue française » et non pas spécifiquement québécois. Le raisonnement sous-jacent est qu’une plus grande visibilité et accessibilité du contenu en langue française favorisera aussi le rayonnement des contenus francophone d’ici.

« La culture étant indissociable de la langue, je ne suis pas étonnée de ça », signale Ève Paré, de l’ADISQ.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Ève Paré, directrice générale de l’ADISQ

On voit dans les deux premiers chapitres la dimension internationale et la nécessité pour le Québec de se trouver des alliés, dans ces batailles-là [que le Québec ne peut pas mener seul].

Ève Paré, de l’ADISQ

Elle précise toutefois qu’avant de songer au rayonnement international, il faut d’abord s’assurer que le contenu québécois francophone ait une forte présence localement.

Hélène Messier, présidente et directrice générale de l’Association québécoise de production médiatique (AQPM), accueille aussi favorablement le rapport d’experts déposé mercredi et voit notamment d’un bon œil l’accent mis sur la nécessité de continué à défendre les clauses d’exception culturelle dans les accords commerciaux. Le choix de parler de contenu « francophone » plutôt que « québécois » la laisse plus songeuse.

« J’ai une petite inquiétude parce que devant un géant comme le marché français et ce qu’il représente pour les plateformes comparativement au Québec, je crains que le contenu français soit favorisé », admet-elle. Il sera important, juge Hélène Messier, que la valorisation du contenu de langue française passe par une diversité de production issue de la francophonie.

Tant l’ADISQ que l’AQPM accueillent bien la recommandation faite au gouvernement de réévaluer les mécanismes de financement afin qu’ils soient à la hauteur des défis posés par le basculement dans le monde numérique et vers des plateformes de diffusion transnationales. « Le rapport identifie bien les enjeux, dont la difficulté qu’a notre musique à rejoindre son public, et propose plusieurs solutions. L’impact concret des recommandations dépendra de la façon dont elles seront mises en œuvre », a par ailleurs souligné Jérôme Payette, de l’Association des professionnels de l’édition musicale.

Mathieu Lacombe a assuré que ce rapport ne serait pas « tabletté ». « Vous allez voir, a-t-il prévenu, on va faire flèche de tout bois parce qu’on a les moyens de nos ambitions, et on va les prendre. »

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse