La Fondation Phi nous convie, en ce mois d’août, à explorer les pistes de réflexion de Moridja Kitenge Banza, d’Amélie Brisson-Darveau et de Pavitra Wickramasinghe. Et à découvrir un travail sur l’art public. Un programme étoffé qui évoque nos responsabilités envers la Terre, notre patrimoine personnel et aussi commun. Avec des thèmes qui vont de l’identité au souvenir en passant par le racisme…

C’est plutôt rare que la Fondation Phi nous gratifie, comme ça, en plein été, d’une solide programmation destinée à celles et ceux qui veulent réactiver leurs neurones alors qu’on aurait plutôt tendance à les laisser en jachère ! Deux expos et une série d’activités autour de l’art public meubleront aisément la visite d’une journée chez Phi tant la substance est nourrissante.

Le plat de résistance de cette agape estivale est le déploiement – sur les quatre étages du 451, rue Saint-Jean – des œuvres de Moridja Kitenge Banza. Rappelons que Moridja, né en République démocratique du Congo, réside à Montréal depuis plus de 10 ans et y a exposé maintes fois, notamment dans les galeries de Joyce Yahouda et d’Hugues Charbonneau, ce dernier le représentant actuellement.

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Moridja Kitenge Banza

Deux corpus inédits

Moridja, par son parcours de vie, est fasciné par la mémoire, l’identité, la culture et la géopolitique. Des matières premières de son approche qu’il incarne dans la peinture, l’installation, la photographie ou la vidéo. De son exposition Habiter l’imaginaire chez Phi, deux corpus inédits sortent du lot.

D’abord, deux ensembles de tableaux, un nouveau volet de sa série Chiromancie. L’un, « africain », est coloré et aux doux tons ocrés qui rappellent les teintes des latérites. L’autre, « québécois », en noir et blanc, révèle son attrait pour les taches sombres sur fond blanc de Borduas ou encore les Icebergs de Riopelle.

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Chiromancie # 14 no 2, 2023, acrylique sur toile

Ces tableaux sont des explorations critiques de territoires. Le territoire des lignes de la main, quand la chiromancie y voit des traits de caractère. Et le territoire géographique révélé par des photos prises par Moridja au Congo ou par des satellites. Paysages. Cartographie de sites d’exploitation minière. Des peintures fortes qui explorent l’identité, l’histoire et ces matières premières de l’humanité que sont le colonialisme et ce qui en découle, par exemple l’exploitation des ressources par des conglomérats étrangers.

Mes peintures de Chiromancie ne sont pas là pour me décoloniser, mais une façon utopique de construire mon espace.

Moridja Kitenge Banza

L’autre corpus phare est au troisième étage. Moridja y a installé son « entreprise » Cycle. Une installation sur une société fictive qui fait du profit dans le recyclage d’une matière première : le racisme. Un travail sur les racines et la réalité du racisme. Le visiteur devient un client de Cycle, « la première à avoir trouvé comment recycler le racisme », dit l’artiste dont l’idée résulte d’un acte raciste dont il a été victime en 2018.

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Vue de l’exposition

« Le racisme est quelque chose qui revient tout le temps, donc j’ai eu envie d’y réfléchir, dit-il. Je voulais parler du recyclage depuis longtemps et explorer l’idée de qui tire profit d’un acte raciste. Je me suis dit que le racisme est comme une matière première qui existe dans la nature. »

L’installation met en équation l’idée du racisme, son coût et les profits que font ceux qui exploitent cette « matière du racisme » que Moridja a d’ailleurs incarnée. On peut, en effet, en voir des exemplaires (sortes de roches noires) dans une vitrine. L’artiste explique que cette matière première a été « créée » (pour justifier l’esclavage et la colonisation) par l’homme politique français Arthur de Gobineau (1816-1882), auteur d’un Essai sur l’inégalité des races humaines. Et que le racisme s’est depuis raffiné. Il expose ainsi la « matière raffinée du racisme », un lingot blanc qui évoque l’or et la commercialisation de ce qu’on estime comme ayant de la valeur. Une analogie brillante et, bien sûr, malaisante.

Tout le long de la visite, on entend d’ailleurs dans les escaliers les échos de l’Hymne à nous, œuvre vidéo et sonore que Moridja, ténor de son état, a créée en 2009 et qui reflète les facettes de son identité et les influences qui l’ont façonnée. Une œuvre arrimée à l’Hymne à la joie, de Beethoven, choisi par l’Union européenne pour symboliser la paix et la solidarité.

Les contours de l’oubli

Au 465, rue Saint-Jean, Phi présente également, jusqu’au 3 septembre, Les contours de l’oubli, une expo commissariée par Daniel Fiset et imaginée par Amélie Brisson-Darveau et Pavitra Wickramasinghe. Un projet mené sur un an avec des élèves de 3e secondaire de l’école Lucien-Pagé, autour du thème de l’embourgeoisement et de la mémoire de l’ex-bâtiment industriel du 6528-6574, rue Waverly. Une démarche artistique et sociale, avec la production de tuiles de céramique et de frottis au charbon pour témoigner des particularités de l’architecture de cet immeuble occupé par des bureaux et des ateliers d’artistes.

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Pavitra Wickramasinghe et Amélie Brisson-Darveau devant les empreintes de céramique

Également au 465, rue Saint-Jean, la commissaire Victoria Carrasco a élaboré une série d’évènements intitulée Se souvenir, performer, oublier : relier l’espace par l’utopie, qui interroge le rôle de l’art public, notre volonté d’occuper l’espace public et notre tendance à négliger la portée d’expressions artistiques passées. Le projet comprend des conférences et deux programmes de projections de films, dont des vidéos de Jacques Giraldeau, Jean Palardy, Kerstin Honeit, Rodolfo Andaur et de la Société des archives affectives. De la matière à réflexion qui sera présentée du 16 au 27 août. Bonne visite !

Consultez le programme de la Fondation Phi