Être fan fini d’un artiste ne date pas d’hier. Il y a eu des évanouissements ou des émeutes devant les Beatles, Elvis Presley ou One Direction. Même Jésus-Christ comptait sur 12 fidèles dévoués, qui se seraient sûrement battus pour entrer dans son top 8 d’amis sur MySpace.

Ce qui a changé, avec les réseaux sociaux, c’est la conversion de ces fans mesurés et inoffensifs en fans extrêmement motivés et investis, que l’on appelle des « stans ». Un stan, c’est un fan convaincu, politisé et hyperactif, qui défendra sa vedette préférée jusque sur son lit de mort. Sans blague.

Aux États-Unis, les communautés de stans, qui se regroupent souvent sur le réseau X, portent même des noms. Il y a la BeyHive de Beyoncé, les Barbz de Nicki Minaj, les Little Monsters de Lady Gaga, l’Army de BTS et les célèbres Swifties de Taylor Swift.

PHOTO ANNIE MULLIGAN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des stans de Beyoncé lors de la sortie du film Renaissance, en novembre dernier

Et ces stans influents pèsent lourd dans l’industrie de la culture populaire. Quand Justin Timberlake a lancé son nouvel extrait Selfish, le 25 janvier dernier, les stans de son ex-copine Britney Spears ont vivement encouragé leurs armées à « streamer » la chanson Selfish de Britney, une pièce obscure tirée de son album Femme Fatale, paru en 2011.

Résultat : la vieille chanson Selfish de Britney Spears a talonné la nouvelle chanson Selfish de Justin Timberlake sur iTunes et Spotify. Du « trollage » de haut niveau, comme on aime.

Je précise ici que Britney Spears a révélé dans son livre La femme en moi qu’elle a avorté, il y a une vingtaine d’années, d’un enfant de Justin Timberlake, aucunement intéressé à devenir papa. Protecteurs, les stans de Britney n’ont pas digéré cette révélation. Et on ne niaise pas un stan de Britney, OK ?

« Les stans ont compris comment se joue la game de la célébrité. Ils savent comment fonctionnent les algorithmes. Ils deviennent non seulement des admirateurs, mais ils mobilisent aussi des ressources pour que leur artiste soit bien traité et qu’il soit en sécurité. Ils offrent un soutien indéfectible », explique Jean-Michel Berthiaume, spécialiste en culture populaire et docteur en sémiologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Le mot stan est entré officiellement dans le dictionnaire Oxford en 2017. Il réfère au titre de la chanson Stan d’Eminem (en duo avec Dido), qui racontait l’histoire d’un fan en plein délire parce que son rappeur favori ne répondait à aucune de ses lettres. Le vidéoclip, tourné en 2000, finissait en massacre, alors que Stan tuait sa femme enceinte en se suicidant au volant de son auto. Très joyeux, tout ça.

La connotation négative accolée au terme stan s’estompe avec les années. Oui, il existe des stans toxiques et zélés, qui menacent de mort et intimident les détracteurs de leur popstar chouchoute. Mais ils demeurent une minorité.

Les stans ordinaires n’apprécient pas les stans extrêmes et les bannissent, rappelle Jean-Michel Berthiaume, de l’École des médias de l’UQAM.

Les artistes québécois comptent bien sûr de nombreux stans, dont l’ascendant ne rivalise pas avec celui de leurs équivalents aux États-Unis ou en Corée du Sud. C’est la force du nombre qui procure aux stans leur pouvoir. C’est cette masse critique qui leur permet d’influer sur les palmarès, notamment.

Chez nous, la chanteuse Roxane Bruneau dispose d’un important groupe de stans, les Bruno’z, anciennement appelés les Cocos. Et on ne niaise pas les Bruno’z, comme je l’ai découvert après avoir publié une chronique qui écorchait leur idole, championne des gags douteux dans son fauteuil de coach à La voix.

Pendant plusieurs jours, les Bruno’z m’ont inondé de messages volant au secours de l’auteure-compositrice-interprète de 33 ans. Du genre : « arreter de vous acharne sur roxanne vous net pas bien dans votre peaux mon cher ». Ou encore : « ont s’en caliss de ton opinion sur roxanne bruneau elle elle ne te juge pas ».

Rien de trop méchant ou de menaçant, j’ai vu bien pire. Cette dévotion indestructible a même quelque chose de touchant. Pour monter la pression d’un cran, les stans de Roxane Bruneau ont également lancé une pétition en ligne pour que je perde mon travail de chroniqueur à La Presse, pétition qui a été signée par quatre personnes, au dernier décompte. Stans de Roxane, unissez-vous ! Il vous reste du temps pour me dégommer de mon poste.

Le plus rigolo, c’est que Roxane Bruneau a joué, début décembre, une version d’elle-même dans la série quotidienne Indéfendable de TVA. Son personnage de chanteuse populaire, Louna Rose, subissait du harcèlement de la part d’une stan complètement coucou, qui entrait par effraction dans son condo pour sniffer ses vêtements. La stan en question, Mylène Kirouac (Rebecca Vachon), a fini par kidnapper et torturer sa propre avocate Inès (Nour Belkhiria), dont elle était tombée amoureuse. Un petit mardi au bureau, quoi.

Les stans crinqués, qui sombrent dans l’intimidation et la violence, donnent mauvaise presse aux stans modérés. Car être un stan, à la base, ça part de sentiments nobles comme l’admiration et le respect. C’est comme afficher un badge d’honneur, obtenu après des heures et des heures de militantisme sur X.

Et tant que ça ne vire pas en fiasco obsessionnel comme la fan fêlée d’Indéfendable, pas besoin d’appeler la police. Ou Léo Macdonald.