Le designer Paul Deutschman reste fidèle aux serviettes de table. Malgré les miracles de la conception sur ordinateur, rien ne remplace le croquis jeté rapidement sur le coin d'une feuille, quel que soit le lieu ou le moment.

«Les meilleures idées sortent sur les napkins, assure le designer de 54 ans. Peut-être parce qu'on est plus relax...»

Il a ainsi créé les lignes de certaines des voitures les plus rapides du monde. De cinq véhicules électriques. D'un véhicule à trois roues qui a fait date. Tous dessinés dans le sous-sol de sa résidence de Westmount. Il gagne sa vie dans le design automobile depuis plus de 20 ans. «Je suis le seul au Canada», soutient-il.

Le natif de Jonquière avait toujours rêvé de dessiner des voitures. Il a donc étudié en génie mécanique. Ce n'était pas une erreur de parcours. Il voulait connaître ce qui se cache sous la carrosserie et pouvoir parler en connaissance de cause avec les ingénieurs. «Comme ça, ils sont plus ouverts à écouter les nouvelles idées», observe-t-il. Il a peaufiné son art chez Rover et Jaguar, en Grande-Bretagne, avant de revenir au Québec pour collaborer au projet de taxi GSM.

Dans son bureau dépouillé aux murs blancs, derrière les écrans d'ordinateur, quelques instruments d'une autre époque sont encore accrochés: feutres, gabarits d'ellipses et de courbes... Nostalgie, peut-être, car le travail a beaucoup changé depuis le design de sa première voiture québécoise, au milieu des années 80. Pour son entreprise Spex Design, il avait alors conçu un petit roadster à assembler sur un châssis de Honda Civic. Ce petit bolide lui a amené une commande de concept de Porsche Speedster futuriste. Qui a fait la couverture de quelques revues spécialisées. Qui ont attiré le regard d'un Américain nommé Reeves Callaway. Qui lui a confié le design de la première d'une série de fabuleuses Corvette revisitées.

Coïncidence? Chance? Dominos bien alignés? Sans doute, mais «si le rédacteur en chef n'avait pas aimé la voiture, je continuerais à dessiner des séchoirs à main», lance Paul Deutschman, évoquant un des rarissimes produits non roulants qu'il ait conçus.

Malgré les miracles de la représentation 3D, la base du métier est demeurée la même: savoir créer une courbe séduisante. M. Deutschman utilise encore les maquettes en argile. Sur une table de travail est déposé un modèle réduit en argile d'un petite voiture électrique biplace toute en rondeur, en cours de développement pour une firme de Toronto. «Il faut beaucoup moins de temps pour modifier une courbe ou un détail sur une maquette que sur un dessin 3D», explique-t-il.

Il ne néglige pas non plus les rendus tracés à la main, fussent-ils ensuite numérisés et retravaillés sur ordinateur. Un dessin transmet au client une émotion que le froid réalisme numérique ne parvient pas toujours à traduire.

Parce qu'il travaille surtout pour des PME qui fabriquent de petites séries, il a rarement ce bonheur de voir une de ces créations sur la route - comme le T-Rex à trois roues, peut-être son projet préféré en raison de l'affranchissement des formes conventionnelles que ce produit unique lui a permis.

Vous avez donc peu de chances de monter à bord d'un de ses véhicules. Sauf peut-être - et on ne vous le souhaite pas - l'ambulance aérodynamique Millénium, conçue pour le fabricant québécois Demers.

Au moment de partir, le journaliste lui indique, dans la corbeille sous son bureau, le croquis d'un étrange véhicule au long habitacle, esquissé au plomb sur une feuille détachée d'un calepin. Encore une idée en mûrissement. Paul Deutschman reste discret: on en reparlera dans trois ou quatre ans...