Grâce à des innovations de plus en plus sophistiquées, les voitures n'ont jamais été aussi sûres. C'est très bien, mais les aides à la conduite qui équipent nos véhicules peuvent aussi jouer contre la sécurité routière en nous donnant l'impression d'être dans une bulle où rien ne peut nous arriver. N'est-ce pas là le problème?

Les constructeurs eux-mêmes le reconnaissent: la technologie encourage la distraction. La mise en place de (trop?) nombreux systèmes d'aide à la conduite fait de l'automobiliste un conducteur passif. Ne percevant presque plus les bruits du moteur, rassuré par l'équilibre du châssis, parfois exempté de l'obligation de réguler son allure sur l'autoroute, de commander les phares ou les essuie-glaces (à déclenchement automatique sur certains modèles) et bercé par le son de la chaîne haute-fidélité installée à bord, le conducteur peut se laisser aller et ranger ses réflexes dans le coffre à gants.

Par ailleurs, les progrès enregistrés dans le domaine de la tenue de route et de la facilité de conduite, tout comme la prise de hauteur de certains véhicules (les utilitaires, multi-segments et autres fourgonnettes), contribuent eux aussi à brouiller la perception de la vitesse et à rendre certains automobilistes trop confiants.

Plusieurs experts s'inquiètent de la modification des repères qui en découle, surtout pour les jeunes générations de conducteurs. Au volant, ceux qui ont connu l'époque pas si lointaine des Omni, Chevette et autres Coccinelle se réservent inconsciemment une plus grande marge de sécurité. Peureux? Non, seulement plus conscients.

Aujourd'hui, c'est tout le contraire. À croire que nous avons délégué à notre véhicule toutes nos compétences... Il suffit de rouler quelques kilomètres et hop! la vigilance (ou la méfiance, selon certains) se trouve altérée par le sentiment de confort et de sécurité. Le conducteur n'est plus concentré sur la route, il se laisse emmener par son véhicule jusqu'à ce qu'une situation d'urgence survienne. Alors, c'est la panique, l'automobiliste ne sait plus comment réagir.

Il n'existe pas de statistiques officielles sur les accidents liés à une mauvaise connaissance des systèmes embarqués. Aucun rapport de police ne mentionne si le conducteur aurait pu éviter l'impact ou s'il s'était rappelé que le dispositif ABS, par exemple, permet de diriger la voiture pendant le freinage et non pas de freiner sur une plus courte dictance. Il y a fort à parier cependant que certains accidents de la route auraient pu être évités si les conducteurs avaient été sensibilisés aux risques engendrés par les aides électroniques. Cela explique sans doute pourquoi certains experts suggèrent aux autorités et aux constructeurs d'élaborer des formations spécifiques à l'électronique à bord des véhicules.

Malgré ses effets pervers, pas question de revenir sur les acquis du correcteur de stabilité électronique ou de l'ABS. Il faut plutôt se demander comment casser la règle dite «du risque quasi inexistant». Selon cette dernière, un conducteur installé à bord d'une voiture qui lui procure un fort sentiment de protection aura tendance à rouler plus vite et à manquer d'attention. Comment «ébranler» cette confiance et rappeler à ceux qui l'auraient oublié que la conduite demeure une activité très complexe qui requiert une attention de tous les instants? Pour semer le doute dans l'esprit du conducteur impétueux, doit-on débrancher les aides à la conduite ou encore brider les performances de son véhicule à sa sortie du concessionnaire?

Certains spécialistes suggèrent plutôt d'introduire dans les systèmes de sécurité des «marqueurs émotionnels du risque précoce». Grâce à des signaux artificiels (léger mouvement de caisse, vibrations, effets sonores), il s'agit de faire en sorte que le sentiment de malaise lié au risque se manifeste beaucoup plus tôt. L'aéronautique a déjà introduit des mécanismes d'assistance qui «mentent» en émettant des alertes (une vibration du manche à balai, par exemple) bien avant le décrochage de l'avion.

 

Ce qui vaut pour la technologie vaut aussi pour la réglementation. Alors que les mesures telles qu'une répression accrue ou la création du permis à points ont permis d'abaisser la mortalité sur la route, les récents aménagements législatifs auront-ils un impact tout aussi significatif?

Mais la sécurité routière n'est pas qu'une histoire d'électronique. C'est aussi une question de rapport à la norme, c'est-à-dire de consensus social. Cela, aucun texte réglementaire ne peut l'imposer et aucun constructeur ne le propose en option. Alors, faute de mieux, on garde l'homme; on n'automatise que ce qu'on sait prévoir.