Telle est la situation: personne n'arrive encore à bien imiter une Harley-Davidson. Ni en corps, ni en esprit. Et ce n'est certes pas faute d'essayer. Serait-ce qu'on n'ose pas le faire? Peut-être, car qui diable oserait offrir quelque chose de comparable à cette édition 2009 de la Screamin'Eagle Springer Softail ?

Comme si la Springer Softail n'était pas assez particulière, cette édition spéciale, réalisée par la division CVO (Custom Vehicules Operations) du célèbre constructeur de Milwaukee, pousse l'audace encore plus loin.

Chaque année, la division CVO de Harley-Davidson produit une poignée de modèles offerts en quantité très limitée. Si, en raison de leur prix élevé, ceux-ci représentent une proposition généralement incompréhensible pour la plupart des motocyclistes, pour les plus fidèles des disciples de la firme américaine, il s'agit plutôt d'incontournables occasions.

Lorsqu'il est décidé qu'un modèle de la gamme ordinaire sera offert en version Screamin'Eagle, une équipe exclusivement consacrée à sa réalisation - et à laquelle on donne carte blanche - se met à l'oeuvre.

 

Le remplacement du moteur standard de 96 po3 est une formalité. À sa place, on installe une version de 110 po3, beaucoup plus puissante. Puis, on ouvre la bible des propriétaires de Harley-Davidson, le catalogue de pièces Screamin'Eagle, et on se sert sans la moindre retenue. Si le résultat est une moto littéralement recouverte par ces pièces convoitées, il doit néanmoins demeurer de bon goût. On ne visse pas bêtement n'importe quoi n'importe où.

Une peinture exclusive et partiellement réalisée à la main complète le travail, mais dans le cas de la Springer Softail, qui est un modèle fétiche chez Harley-Davidson, on a poussé l'exercice plus loin.

Un rapide coup d'oeil à la Screamin'Eagle Springer Softail 2009 révèle que la partie arrière a subi un changement majeur puisqu'elle est dominée par un pneu ultralarge de 240 mm monté sur une magnifique roue chromée de largeur proportionnelle. Une telle modification requiert normalement un travail non négligeable qui doit inclure l'intervention sérieuse d'ingénieurs si l'on tient à conserver la qualité du comportement routier.

Mais les chargés de projet ont plutôt eu la bonne idée d'emprunter la partie cycle de la Rocker, un modèle lancé l'an dernier et justement caractérisé par ce genre de gros pneu arrière. Comme la Rocker et son comportement bien équilibré - loin d'être la norme sur les motos équipées d'un tel pneu arrière - est le résultat d'un long travail d'ingénierie, il était logique de la choisir comme point de départ.

Ainsi, malgré un pneu arrière surdimensionné et une fourche dont la conception remonte aux années 40, la Screamin'Eagle Springer Softail offre un comportement étonnamment équilibré sur la route puisqu'elle possède une direction légère et relativement précise, et qu'elle fait preuve d'une bonne stabilité. L'une de ses seules fautes à ce chapitre découle des caractéristiques de la fourche Springer, qui s'affaisse complètement en freinage intense.

La mécanique de 110po3 est indéniablement beaucoup plus puissante que celle d'origine, mais sur la Springer, où elle est montée de manière rigide dans le cadre, elle préfère ne pas être trop bousculée. On profitera davantage du cubage additionnel en changeant les rapports tôt et en profitant du généreux couple délivré à bas régime plutôt qu'en insistant pour étirer les vitesses jusqu'aux derniers régimes. En effet, dans ces circonstances, la boîte de vitesses devient récalcitrante et les vibrations s'intensifient.

On n'a qu'à regarder la Screamin'Eagle Springer Softail pour réaliser qu'on n'a pas affaire à une monture de tourisme. La position de conduite, qui est typiquement concentrée vers l'avant, n'est toutefois pas inconfortable lorsqu'on s'en tient à des sorties de plus ou moins courte durée.

De toute façon, personne n'achète une telle moto pour abattre des kilomètres par milliers. On la choisit d'abord et avant tout pour sa ligne, et plus particulièrement pour l'amour de cette fourche Springer qui demeure encore aujourd'hui un emblème indissociable de la marque de Milwaukee.

Avec sa finition aussi détaillée qu'immaculée, sa mécanique survitaminée et les belles manières de sa partie cycle de Rocker, cette version Screamin'Eagle représente l'apothéose du concept Springer. Elle ne s'adresse pas à la masse, qui la trouvera trop chère sans raison et peut-être même clinquante, mais plutôt à une poignée de fanatiques aussi particuliers que connaisseurs qui savent très bien que jamais une telle moto ne pourrait être dupliquée pour une somme équivalente. En fait, pour ces disciples de la religion harléenne, la possibilité d'acquérir une Springer Softail apprêtée par la division CVO représente carrément un privilège.

Bertrand Gahel est l'auteur du Guide de la Moto. Les frais de déplacement et d'hébergement pour ce reportage ont été payés par Harley-Davidson.