Chaque année, la journée «En ville sans ma voiture» inspire ou agace. Hélas, elle ne change rien aux habitudes des automobilistes. La parenthèse heureuse qu'elle ouvre durant quelques heures se referme aussi rapidement pour laisser place aux sempiternels bouchons. À quand une action concertée?

Ce devait être un mardi «pas comme les autres». Il n'en fut rien. Retour de l'automne et de sa pluie glacée; retour des embouteillages; retour de la pollution; retour des accidents: la ville crevait ce matin-là de «la bagnole». Et comme à tous les jours, il a suffi d'un feu de signalisation en panne, d'une voiture garée en double file ou de travaux de voirie pour provoquer un cauchemar urbain.

 

Comprenons-nous bien: tout le monde, y compris des automobilistes, rêve d'une ville où le piéton peut respirer à pleins poumons sans craindre pour sa santé. D'une ville où les écoliers peuvent se rendre à pied à l'école sans risquer d'être fauchés par une voiture. D'une ville sans bouchons. Bref, d'une ville qui ne soit plus l'otage de la voiture. Sommes-nous trop rêveurs?

 

Après s'être pliées pendant des décennies aux quatre volontés du dieu Automobile, les villes constatent aujourd'hui avec horreur que cette servitude mène droit dans le mur. Vrai que le moment est venu à la voiture de s'adapter à la ville et non plus «à la ville de s'adapter à l'automobile». Mais cette nouvelle cohabitation ne se fera pas en un jour, ni en 10 ans. Elle nécessite une révolution des mentalités. Les élus devront oser braver les automobilistes, les constructeurs inventer des voitures réellement adaptées à la ville, les citadins redécouvrir le vélo, la marche ou les transports en commun et les urbanistes redessiner une ville de proximité. Vaste programme.

 

 

Alors, «En ville sans ma voiture», on veut bien, mais encore faut-il nous (les automobilistes) séduire et que les transports publics saisissent l'occasion de démontrer leur efficacité, leur fiabilité, leur flexibilité et leur sécurité. Or, une fois de plus, mardi dernier, ils ont lamentablement échoué. Dommage car «En ville sans ma voiture» représente l'occasion idéale pour convaincre les sceptiques ou encore mesurer les progrès accomplis par les transports publics. Alors pourquoi les sociétés de transport ne se sont-elles pas faites plus belles en cette journée toute spéciale?

 

En milieu urbain, la voiture est aujourd'hui un moyen avec lequel les individus ont planifié leurs déplacements. Des solutions? Elles sont nombreuses. Et coûteuses aussi! Pour que les gens laissent effectivement leur voiture au garage, il faut impérativement que l'offre des transports en commun s'améliore. La question est de savoir si cette amélioration doit forcément se faire au détriment de l'automobile. Exclure les «quatre roues» du coeur des agglomérations tend à envoyer les embouteillages en périphérie, là où les déplacements augmentent déjà à un rythme soutenu. Décourager les automobilistes par une approche malthusienne des infrastructures ou une insuffisance de parkings n'a de sens que si les transports collectifs sont capables d'absorber les reports de trafic ainsi générés, ce qui n'est pas le cas.

 

L'ampleur de la tâche nécessite une mobilisation de tous les acteurs concernés pour adopter une politique globale des déplacements dans les agglomérations. Aujourd'hui, la gestion de l'espace public urbain demeure encore beaucoup trop éclatée politiquement ainsi qu'en termes de compétences professionnelles. Ces acteurs doivent ensemble favoriser une approche sociologique et non plus technique des transports urbains, comme cela a été fait généralement jusqu'ici. Aux constructeurs aussi de mettre l'épaule à la roue et de nous confectionner des voitures taillées pour la ville: petites, pas surmotorisées, sobres et, surtout, pas trop chères. On en est loin.

 

D'ici là, nous restons très attachés à notre voiture. Sa part ne cesse d'augmenter dans nos déplacements quotidiens, mais ce n'est pas une fatalité. Là où il existe une volonté politique forte de développer les transports en commun, la courbe s'inverse. Avec le temps et des opérations comme celle de mardi dernier, le changement des mentalités que nous commençons à percevoir se traduira dans les faits: il faut décourager l'usage de la voiture quand il n'est pas adéquat, pas celui de l'auto en général. Car qu'on le veuille ou non, la ville et l'automobile sont condamnées à vivre, à vieillir et à mourir ensemble.

Photo Robert Skinner, La Presse

La rue Sainte-Catherine devenue piétonne pour un jour à Montréal à l'occasion de la manifestation "En ville sans ma voiture".