C’était un avant-gardiste, un visionnaire, un mécène d’une très grande générosité. Daniel Langlois, mort dans des circonstances tragiques avec sa femme Dominique Marchand, était un homme discret, qui n’aimait pas s’afficher dans les médias. Tout le contraire de ces multimillionnaires mégalomanes dont l’ego surdimensionné inonde les réseaux sociaux.

Langlois était devenu un homme d’affaires par la force des choses, mais restait un artiste dans l’âme. L’innovation était son moteur : technologique, artistique, écologique. Depuis 25 ans, la fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie soutenait des projets partout dans le monde. Et surtout, depuis 2015, des initiatives environnementales dans des pays émergents, dont la Dominique, qui était devenue autant que Montréal son port d’attache.

Daniel Langlois a d’abord fait sa marque en cinéma d’animation, notamment à l’Office national du film. Il a coréalisé en 1985 le court métrage Tony de Peltrie, reconnu à l’époque par le futur dirigeant de Pixar John Lasseter (Toy Story, Cars) comme « une œuvre phare qui, dans plusieurs années, sera reconnue comme la première à avoir mis en scène des personnages en chair et en os animés par ordinateur ».

Les logiciels d’animation 3D conçus par son entreprise Softimage ont servi dans des mégasuccès hollywoodiens tels Le Parc jurassique, Titanic, Harry Potter et Le Seigneur des anneaux. Après avoir vendu son entreprise à Microsoft en 1994, c’est au Québec qu’il a décidé d’investir son énergie, son argent et son savoir-faire.

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Daniel Langlois présente une animation réalisée avec un logiciel de son entreprise, Softimage, en 1991

Je ne l’ai interviewé en bonne et due forme qu’une seule fois, il y a 15 ans. Il m’a accueilli au café Méliès de son complexe Ex-Centris. Un décideur de l’ombre qui faisait une exception pour les 10 ans de sa fondation. J’ai compris alors que son histoire avec le cinéma québécois était celle d’une désillusion. On lui avait fait des promesses qui n’avaient pas été tenues. Il a préféré se désengager plutôt que de perdre plus de temps et d’argent dans des projets voués à l’échec dont il faisait les frais médiatiquement.

J’ai toujours eu l’impression que la société québécoise n’allait pas assez vite pour lui.

Il avait imaginé et construit à fort prix un bolide de formule 1, le complexe Ex-Centris, contraint de rouler sur des routes mal entretenues, infestées de nids-de-poule et entravées par des cônes orange. Ce centre culturel multidisciplinaire à la fine pointe de la technologie n’a jamais atteint son plein potentiel.

Daniel Langlois rêvait que ce lieu de diffusion unique, qu’il avait en grande partie esquissé lui-même, accueille, avec ses plateformes hydrauliques, ses sièges escamotables et ses installations dernier cri, une multitude de projets multimédias d’avant-garde. Il rêvait aussi que ses salles profitent de la révolution annoncée dans l’univers de la distribution numérique, afin de permettre aux cinéastes de rejoindre directement le public sans passer par les canaux traditionnels.

La triste ironie d’Ex-Centris, qui a fermé définitivement ses portes en 2016, mais que Daniel Langlois avait abandonné à son sort dès sa fermeture temporaire en 2009, c’est que ce complexe ultramoderne a servi de modèle au Lightbox, quartier général vibrant du Festival international du film de Toronto (TIFF).

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Le cinéma Ex-Centris, en 2009

En 2005, Langlois était au cœur du dernier soubresaut montréalais pour tenter de concurrencer le TIFF sur l’échiquier des festivals. Le fiasco du Festival international de films de Montréal (FIFM), piloté par l’Équipe Spectra, a été la goutte qui a fait déborder le vase de son enthousiasme pour le milieu du cinéma québécois.

Langlois avait été pendant sept ans, avec grand bonheur, président du conseil d’administration du Festival du nouveau cinéma, qu’il a pris le beau risque de quitter afin de rejoindre le « festival rassembleur » souhaité par la SODEC et Téléfilm Canada pour remplacer l’agonisant Festival des films du monde (FFM). Il y a inauguré son Digimart, marché du film numérique mort-né comme le FIFM, qui n’a connu qu’une édition.

La déconfiture du FIFM a entaché la réputation internationale de Montréal et divisé plus que jamais le milieu du cinéma, auquel Daniel Langlois, déçu, a progressivement tourné le dos. « Les déboires des festivals m’ont beaucoup refroidi. Je n’ai plus le goût de mettre mes énergies là-dedans. J’ai tellement de choses à faire. L’histoire des festivals a consommé beaucoup de mes énergies, pour peu de résultats sur le plan créatif », me confiait-il en 2007.

« Je me suis impliqué très vite, même si on m’a un peu tordu le bras pour que je le fasse, mais je me suis retiré assez rapidement aussi, parce qu’il n’y avait pas de discussions de contenu. Il n’y avait que des discussions d’ego. Des ego, ça sert à défoncer des portes, pas à faire des projets communs. »

Pendant 10 ans, Daniel Langlois a offert aux cinéphiles la Mecque des lieux de diffusion cinématographiques à Montréal, épongeant déficit après déficit, sauvant le cinéma Parallèle et le Festival du nouveau cinéma du naufrage, modernisant le Cinéma du Parc.

À son apogée, au début des années 2000, l’Ex-Centris comptait pour 40 % à 50 % des recettes totales du cinéma d’auteur étranger à Montréal.

Avec son élégance habituelle, Langlois a fini par céder les salles d’Ex-Centris et leurs équipements en 2011 pour la moitié de leur valeur marchande, l’équivalent d’un don d’un million. Il s’est retiré dans ses terres, notamment en Dominique, avec son projet de complexe hôtelier autosuffisant, puis s’est tourné essentiellement vers la philanthropie à vocation environnementale (l’achat du mont Pinacle en Estrie, notamment).

Les cinéphiles se souviendront des plus beaux jours d’Ex-Centris, alors qu’à l’étranger, on nous enviait ces installations ultramodernes, incarnées par ces fameux guichets-hublots futuristes. Daniel Langlois a insufflé un nouveau dynamisme à ce coin de la Main moribond. Il nous a fait rêver. Il a permis à quantité d’artistes de se déployer. Ses innovations technologiques vont lui survivre, comme les projets de sa fondation. Le malheur de ce rêveur surdoué, timide et réservé, c’est qu’il était en avance sur son temps. Qu’il repose en paix.