Dans Et la fête continue !, son 23e long métrage, Robert Guédiguian dirige Ariane Ascaride et Jean-Pierre Daroussin dans une odyssée phocéenne sur l’engagement, le pouvoir, la famille et l’amour.

Veuve à 26 ans, mère et grand-mère dévouée, ardente militante de gauche, aide-soignante de 60 ans, Rosa (Ariane Ascaride) est pressentie pour devenir la prochaine mairesse de Marseille. Lorsque la pasionaria rencontre Léo (Jean-Pierre Daroussin), libraire stoïcien n’ayant « ni crainte ni espérance », elle montre quelques signes de lassitude et désire donner une dernière chance à l’amour. A-t-on le droit de se désengager après avoir consacré une vie à sa communauté ?

« Non, on n’a pas le droit, par contre il est légitime d’être fatigué parce que c’est beaucoup de travail », tranche Robert Guédiguian, joint par visioconférence. « Parfois il y a de petites déceptions qui nous accablent, mais il ne faut pas se laisser décourager et être complaisant avec l’échec. Je pense que c’est intéressant d’écrire sur l’état des personnages engagés et sur la psychologie du militant, qui, évidemment, me concerne. Au fond, je crois qu’il y a des gens qui sont faits pour ça et même faits de ça. Ils sont taillés dans ce tissu-là et je crois qu’ils n’arrivent jamais à lâcher prise. Je me vois mal juste profiter des belles choses de la vie, ce n’est pas ma nature. »

Après tant d’années à signer des films engagés, le cinéaste n’éprouve-t-il pas une certaine lassitude ? « Je suis moi-même parfois tout à fait dépressif le soir en rentrant chez moi. Puis je m’encourage tout seul et j’y vais. Et la fête continue !, c’est un journal intime déguisé incarné dans plusieurs personnages, donc je pourrais dire que je suis d’accord avec chacun d’eux, je pourrais prendre à mon compte tout ce qu’ils disent. Il faut absolument que l’action collective continue, une action qui n’engage pas que nous. »

Une odyssée ancrée dans la réalité

Pour le récit d’Et la fête continue !, le cinéaste s’est très librement inspiré du parcours politique de Michèle Rubirola, ex-mairesse de Marseille qu’il a accompagnée durant sa campagne électorale. Plutôt que de raconter la vie de cette femme, qu’il qualifie de formidable, il a voulu s’intéresser au fait que, malgré son comportement engagé, elle ne souhaitait pas le pouvoir.

PHOTO FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

Le cinéaste Robert Guédiguian présente son 23e long métrage avec Et la fête continue !

Je trouve que c’est éminemment moderne et contemporain de ne pas vouloir le pouvoir en fait, de ne pas vouloir le narcissisme du pouvoir, la jouissance du pouvoir, l’argent du pouvoir. Beaucoup de jeunes aujourd’hui veulent faire de la politique, mais ne veulent pas être élus.

Robert Guédiguian, cinéaste

L’autre élément déclencheur du film, où Robert Guédiguian aborde le sort des immigrants et la situation politique tendue en Arménie, pays de ses ancêtres, c’est la tragédie de la rue d’Aubagne, où, à quelques mètres du buste d’Homère, deux immeubles insalubres se sont effondrés le 5 novembre 2018, entraînant la mort de huit locataires.

« Cette histoire m’a semblé être tout à fait symbolique de beaucoup d’autres choses, justement de l’effondrement de la manière dont nous vivons le monde aujourd’hui. Il y a eu la COVID-19, les restrictions sanitaires, mais aussi les guerres qui commencent à agiter beaucoup d’endroits de la planète. Il faut trouver une manière de vivre ensemble. Il y a un siècle, on disait que c’était le communisme, aujourd’hui, il faut inventer quelque chose. Je voulais donc raconter le récit de cette nouvelle chose, inventer une manière de la raconter, de faire une nouvelle odyssée. »

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Scène du film Et la fête continue !

C’est d’ailleurs la figure d’Homère, auteur de L’odyssée, qui était aveugle, qui donnera à Léo l’idée de suggérer à sa fille Alice (Lola Naymark), qui fréquente depuis peu Sarkis (Robinson Stévenin), l’un des fils de Rosa, de raconter en criant aux fenêtres, avec les citoyens, la tragédie du 5 novembre.

« Je crois qu’il faut continuer à avoir le sens du récit, qui est aussi le sens de la représentation, du spectacle, de l’humour, des chansons. Il faut que la fête continue. C’est un peu ce que j’essaie de faire avec le film, de trouver une forme qui puisse raconter tout ça dans la fluidité, dans l’amour, pour que le public trouve le film réjouissant. »

Le réalisateur de Marius et Jeannette fait d’ailleurs remarquer qu’en choisissant d’emprunter la musique que Georges Delerue avait composée pour Le mépris de Jean-Luc Godard, il allait au-delà de l’hommage au cinéaste engagé, disparu pendant le montage d’Et la fête continue ! en septembre 2022.

« Souvenez-vous que dans le film de Godard, qui était dans la recherche formelle, il y a Fritz Lang qui veut tourner L’odyssée. Moi, modestement, dans ma manière de raconter, je rattache Godard et Homère à tout ça. Quand on écrit, il faut voir ce qu’ont fait nos prédécesseurs depuis la nuit des temps pour voir comment ils ont raconté. Je voulais faire un film résolument encourageant, car plus je suis dans la dépression, plus je fais des films encourageants pour m’encourager moi-même », conclut Robert Guédiguian.

En salle le 22 décembre