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J’aimerais savoir quel est le sort réservé à l’oléoduc Trans Mountain, que le gouvernement canadien a acheté pour des milliards de dollars. Sera-t-il vendu ? Qui va l’opérer ? Quelles seront les conséquences de ce pipeline pour l’environnement ?

Richard Champagne

Le gouvernement fédéral continue d’affirmer que son achat de l’oléoduc Trans Mountain « générera un rendement positif pour les Canadiens ».

Il promet même d’investir « chaque dollar gagné dans des projets d’énergie propre ».

Disons qu’il faut porter la même teinte de lunettes que celles du gouvernement, c’est-à-dire rose, pour partager cette analyse. Parce que tout indique que le projet conduira au contraire à des pertes massives pour l’État canadien et donc pour l’ensemble des contribuables. Gâchis monumental en vue, du point de vue à la fois financier, politique et environnemental.

Petit retour en arrière. En 2018, le gouvernement de Justin Trudeau prend la décision, aussi audacieuse que contestée, d’acheter l’oléoduc Trans Mountain pour 4,5 milliards de dollars à la société américaine Kinder Morgan. L’oléoduc achemine du pétrole des environs d’Edmonton, en Alberta, à Burnaby, sur la côte pacifique de la Colombie-Britannique.

À l’époque, Kinder Morgan a commencé à construire un deuxième oléoduc qui suit essentiellement le tracé du premier afin d’en tripler la capacité et d’aider l’Alberta à écouler son pétrole sur les marchés internationaux.

Mais la Colombie-Britannique et les groupes environnementaux s’opposent à cette expansion. Le projet s’embourbe et Kinder Morgan s’impatiente (certains analystes croient en fait que l’entreprise avait compris que le projet n’était pas rentable et cherchait à s’en débarrasser de toute façon).

En se portant acquéreur de l’oléoduc, le fédéral dit vouloir s’assurer que les travaux soient menés à terme.

Mais la construction se bute à de nombreux problèmes. Certaines communautés autochtones contestent le projet en cour, des enjeux environnementaux exigent qu’on détourne le tracé, des problèmes de construction émergent en terrain difficile.

Puis la pandémie de COVID-19 frappe, paralysant les chantiers. En 2021, nouveau coup dur : cette fois, ce sont les inondations en Colombie-Britannique qui viennent perturber les opérations.

« Quelqu’un a blagué un jour en disant que la dernière chose qui pouvait arriver serait une invasion de criquets. Nous sommes vraiment passés par les extrêmes », a commenté auprès du Calgary Herald l’ancien patron de la société de la Couronne Trans Mountain Corporation, Ian Anderson, au moment de prendre sa retraite en mars dernier.

Les choses, malgré tout, progressent. Dans son dernier rapport annuel, qui date de septembre dernier, la Corporation de développement des investissements du Canada estimait que 70 % des travaux d’agrandissement avaient été réalisés1.

Le hic, c’est que les coûts de construction, d’abord estimés à 7,4 milliards, ont bondi à 12,6 milliards, puis à 21,4 milliards. La fin prévue des travaux a été reportée de 2022 au troisième trimestre de 2023.

Le fédéral a toujours affirmé qu’il revendrait à terme Trans Mountain.

« Nous avons l’intention de lancer un processus de désinvestissement une fois que le projet d’expansion aura perdu ses risques et que l’engagement avec les groupes autochtones sera terminé », nous a réitéré le cabinet du premier ministre Justin Trudeau.

Qui pourrait acheter l’oléoduc ? Malgré l’opposition de certaines communautés autochtones, d’autres ont fait savoir leur intention d’acquérir une participation.

L’organisation Project Reconciliation a réitéré l’an dernier viser un actionnariat 100 % autochtone et dit considérer la chose possible malgré les dépassements de coûts2.

La question est de savoir à quelles conditions se ferait la transaction.

L’un des problèmes du fédéral est que les tarifs qui peuvent être demandés aux sociétés pétrolières pour utiliser l’oléoduc sont réglementés et ne peuvent suivre l’escalade des coûts de construction.

Robyn Allan, une économiste indépendante qui s’intéresse au projet, calcule ainsi que le fédéral devrait radier 17 milliards de dollars d’actifs avant qu’un acheteur potentiel puisse considérer une acquisition.

En 2022, le directeur parlementaire du budget a également conclu que le projet s’avérait une perte nette pour le gouvernement⁠3.

Quant aux risques environnementaux, on sait que les oléoducs sont sujets à des fuites, mais il n’existe aucun moyen parfaitement sûr d’acheminer du pétrole. On peut surtout soulever la contradiction que représente le fait d’investir dans de nouvelles infrastructures pétrolières qui fonctionneront pendant des décennies alors qu’on cherche à s’affranchir des combustibles fossiles pour limiter le réchauffement de la planète.

1. Consultez le rapport de la Corporation de développement des investissements du Canada 2. Consultez le texte de CBC News « Indigenous groups still aim to buy Trans Mountain pipeline, even as costs soar » (en anglais) 3. Consultez le rapport du directeur parlementaire du budget

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