Dans S’adapter. Demain : les villes résilientes, l’ancien maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie prend un pas de recul pour réfléchir à la ville de demain. Aujourd’hui consultant, François William Croteau propose plusieurs avenues pour affronter la crise climatique. L’occasion était belle d’élargir la discussion et de revenir sur son expérience d’élu municipal. Fragments d’un long entretien.

Un livre pour qui, au juste ?

Le but de l’exercice, c’est d’expliquer comment on peut faire la transition écologique à l’échelle municipale. Les politiciens des villes sont ceux qui sont les plus proches des gens, je trouve important de faire de l’éducation auprès de la population pour vraiment bien expliquer comment ça marche, une ville.

Mon objectif était de faire un livre de vulgarisation qui touche le plus grand public possible, je ne voulais pas écrire pour des convaincus qui se parlent entre eux. En n’étant plus politicien, j’ai une liberté de parole, je ne suis plus associé à un parti politique, on ne viendra pas m’accuser de partisanerie.

Le b.a.-ba de la résilience écologique

Je ne compte pas le nombre de fois où des gens m’ont interpellé parce qu’ils ne comprenaient pas pourquoi on faisait une saillie de trottoir drainante, pourquoi on enlevait l’asphalte, pourquoi on plantait autant d’arbres. Une ville, ce n’est pas juste déneiger, collecter les déchets et boucher les nids-de-poule…

Je voulais essayer de faire comprendre ça au plus de gens possible pour que ça éveille chez eux une envie de participer à la transition écologique. Ce n’est pas vrai que ça va se faire tout seul, c’est un effort collectif. Les institutions ne vont pas tout régler sans l’apport de chaque individu, c’est impossible. L’ambition de la résilience, c’est de faire des changements durables, de changer les habitudes des gens qui sont là depuis longtemps.

Mobiliser les citoyens

Ce qui mobilise les gens, c’est quelque chose qui touche à leur quotidien. Si ça vient déranger leurs habitudes de vie, ils vont s’intéresser à la chose et vouloir dire leur mot.

La participation citoyenne

Tu ne peux pas imposer, il faut être un peu plus à l’écoute. Oui, c’est long ! Oui, c’est compliqué. Mais tu ne peux pas gérer des projets structurants dans une communauté comme tu gères la mise en marché d’un téléphone cellulaire. Ton projet, il concerne 100 % de ta clientèle. Ceux qui ne veulent pas de ton téléphone cellulaire, ils ne vont pas t’appeler pour te dire qu’ils ne vont pas l’acheter, mais quand tu fais un projet, ils t’appellent pour te dire qu’ils n’en veulent pas. C’est pour ça qu’il faut que tu prennes ton temps pour le faire atterrir, tu n’as pas le droit à l’erreur. C’est normal, dans ce contexte, que ça prenne 10 ans pour un projet structurant.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La piste cyclable de la rue de Bellechasse, dont l’aménagement s’est fait dans une certaine controverse

Le cas de la piste cyclable Bellechasse

On a annoncé la piste cyclable Bellechasse longtemps à l’avance. On avait envoyé un guide deux ans avant la mise en œuvre de notre vision vélo, pour expliquer ce qui s’en venait, pourquoi on ferait ça, ce qui allait être réalisé. On avait fait deux ans de consultation et de mobilisation avant ça. On avait fait un plan local de déplacements, on avait utilisé des données ouvertes, c’était la transparence totale. Tout a été fait impeccablement et… il y a quand même eu une levée de boucliers parce qu’on enlevait 850 places de stationnement.

C’était la catastrophe et tout le monde avait sa raison de contester.

Il y a même une madame qui est allée faire le comptage elle-même sur la rue puis elle a contesté l’analyse des ingénieurs indépendants.

Et il y a eu un article qui comparait le comptage de la madame versus le travail des professionnels. Et à la fin, l’ombudsman a donné raison à ces personnes-là alors que tout le travail avait été fait comme il faut… Là, tu te dis : OK, il y a un problème. Tu ne peux pas mettre autant d’efforts de communication et autant d’analyse pour que ça aboutisse à ça.

Le pire, c’est que l’année suivante, une étude a montré que le taux d’occupation du stationnement sur rue avait baissé malgré le retrait des 850 places… Il y avait eu un transfert modal, les gens avaient abandonné leur deuxième voiture grâce à la piste cyclable. La catastrophe annoncée ne s’est pas produite. Mais il n’y a eu aucun article là-dessus… Il y aura toujours des gens contre tes projets. Il ne faut pas se décourager, il faut continuer à expliquer.

L’est de Montréal

On dirait qu’on est arrivé avec le projet de l’est de Montréal sans vraiment se demander : c’est quoi les besoins ? C’est quoi l’Est ? C’est gros, c’est Montréal-Nord, Anjou, Rivière-des-Prairies, Pointe-aux-Trembles, Montréal-Est, Mercier, Hochelaga-Maisonneuve, une partie de Rosemont… Les besoins ne sont pas les mêmes en transport collectif, en développement immobilier ou commercial. Parler des gens de l’Est, c’est un gros raccourci.

La joute politique

Comme maire d’arrondissement, je m’impliquais beaucoup dans la planification et la réalisation des projets, je n’étais pas beaucoup sur le terrain et ce n’était pas le fun pour un parti, je sais qu’il n’aimait pas ça. On me disait : « Oui, c’est bien le fun ce que tu fais, mais tu ne participes pas aux instances, tu n’es pas sur le terrain, tu ne fais pas de financement… » J’étais à contre-courant. J’ai fait œuvre utile de façon différente. Même si j’étais politicien, j’ai toujours eu beaucoup de difficultés avec la joute politique. Le conseil de ville, les débats, je détestais ça. Ça m’épuisait, alors que j’avais des collègues qui adoraient ça. Moi, j’avais l’impression de perdre mon temps. J’ai quitté [la politique] après 12 ans, je ne voulais pas commencer à me répéter, à ne plus être innovant.

* Les propos recueillis ont été modifiés par souci de concision.

* L’entrevue a été réalisée avant que le scandale des dépenses de l’OCPM ne soit révélé dans les médias.

Extrait

« Voilà qui m’inspire une dernière digression : d’où vient l’idée farfelue qu’il existerait une stratégie visant à déneiger les pistes cyclables en priorité, avant les trottoirs ? Là aussi, la réponse est mathématique. Disons que vous avez 450 km de trottoir à déneiger et seulement 50 km de pistes cyclables. Même avec un seul appareil assigné aux pistes cyclables, si vous lancez toutes les opérations en même temps, inévitablement, les pistes cyclables seront terminées avant. On y trouve beaucoup moins d’obstacles, et la surface est bien plus unie et rectiligne que celle des trottoirs, facilitant d’autant la tâche des déneigeurs. Autre raison ? L’asphalte noir, c’est plus chaud que le béton gris. La neige et la glace y fondent plus rapidement, pour des raisons physiques. Il n’y a pas de complot mené par le lobby (ha ! ha !) des cyclistes. »

Qui est François William Croteau ?

Né en 1972 à Montréal, François William Croteau a été maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie de 2009 à 2021. Titulaire d’un doctorat en études urbaines et d’un MBA, il est le PDG de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine. Il est aussi professeur associé au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG-UQAM.

S’adapter. Demain : les villes résilientes

S’adapter. Demain : les villes résilientes

Québec Amérique

304 pages