Quand l’occasion de rencontrer Louise Harel s’est présentée, avec la sortie de sa biographie, je n’ai pas hésité une seconde. Louise Harel est une figure centrale du paysage politique de l’après-Révolution tranquille dans lequel j’ai grandi.

C’est au café Première Moisson du marché Maisonneuve, au cœur de la circonscription qu’elle a représentée à Québec pendant 27 ans, qu’elle me donne rendez-vous. Elle est déjà attablée avec un café quand j’arrive. Des citoyens du quartier la saluent poliment, mais la laissent continuer sa conversation.

Ce n’est pas sa toute nouvelle biographie – qui la présente comme un personnage « controversé » – qui nourrit d’abord notre conversation, mais le conflit israélo-palestinien qu’elle connaît intimement.

Son conjoint, Edmond Omran, est né en Palestine en 1946. Sa famille arabo-chaldéenne catholique a dû fuir l’Empire ottoman en pleine déroute en 1915 pour se réfugier à Jaffa, sur le bord de la Méditerranée. Ils ont été à nouveau déracinés lors de la création d’Israël en 1948. Il a refait sa vie au Québec. Louise Harel s’est maintes fois rendue avec lui dans la région. A connu Jérusalem lorsqu’il était possible de se promener sur ses remparts en toute liberté. A assisté aux funérailles de Yitzhak Rabin, le premier ministre israélien qui a négocié les accords de paix d’Oslo, mais qui a été tué en 1995 par un Juif extrémiste.

En 1998, elle a été hébergée en Cisjordanie par Samiha Khalil, qui s’était présentée deux ans plus tôt à la présidence de l’Autorité palestinienne contre Yasser Arafat.

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Le conflit israélo-palestinien est un sujet que connaît bien Louise Harel.

Elle [Samiha Khalil] a été la première à me parler du Hamas [qui a pris le pouvoir en 2007 à Gaza]. Elle m’a dit, un jour Israël va beaucoup regretter de ne pas avoir conclu une paix durable avec nous, la génération qui a vécu en paix avec les Juifs palestiniens.

Louise Harel

Son conjoint, qui travaille avec l’organisation Aide médicale à la Palestine, était à Ramallah lors des terribles attentats du Hamas le 7 octobre dernier. Le couple suit les nouvelles de très près. « Je suis accablée quand je me lève le matin et quand je me couche le soir », me dit-elle.

Aujourd’hui, elle se demande où est passé le courage politique des dirigeants occidentaux, y compris ceux du Canada. « Demander un cessez-le-feu en ce moment, ça devrait être le minimum ! Si les dirigeants occidentaux n’ont pas le courage de faire ça quand les populations sont ciblées, s’ils n’ont pas ce courage dans une situation humanitaire, quel genre de courage politique auront-ils après la fin des hostilités et quand il sera nécessaire d’imposer une solution politique dans la région ? », se questionne-t-elle.

En lisant sa biographie, on se dit que Louise Harel a bien le droit de faire des leçons de courage politique à ceux qui la suivent. Elle qui a été à la tête de réformes majeures pendant toute la durée de sa carrière, dont l’épineux dossier des fusions municipales en 2002.

Elle a aussi été de celles qui ont tracé la voie pour les femmes en politique au Québec. Lorsqu’elle a été élue députée pour la première fois en 1981, à 34 ans, elles n’étaient que huit femmes à occuper un siège à l’Assemblée nationale. Les deux poids, deux mesures étaient monnaie courante.

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Louise Harel a été élue députée pour la première fois en 1981, à l’âge de 34 ans.

Quand je suis arrivée, on me disait sans arrêt combien j’étais jeune. Il y avait 10 collègues masculins qui ont été élus au même âge, mais on ne leur disait jamais ça.

Louise Harel

La solidarité avec les élues des autres partis a été cruciale. « Aujourd’hui, on parle de transpartisanerie. Nous, on ne le qualifiait pas, mais on le faisait », dit Louise Harel.

« En procédant avec célérité », elle a pu aider la ministre libérale Monique Gagnon-Tremblay à faire adopter en 1989 – contre toute attente – la loi sur le partage du patrimoine familial. « Quand, moi, j’ai présenté le projet de loi sur l’équité salariale, nous étions alors 10 femmes députées et ça a été une équipe de choc. Une délégation de 4-5 députées libérales étaient venues me voir. Elles m’ont dit : tu as aidé Monique [Gagnon-Tremblay], on va t’aider », se souvient Mme Harel, une étincelle dans l’œil. La loi a été adoptée en 1996.

« L’équité, c’était pour corriger la discrimination systémique. J’ai d’ailleurs fait mettre le mot dans la loi, article 1 », dit-elle, décochant du coup une petite flèche contre le gouvernement de François Legault, qui, à ce jour, refuse de reconnaître le concept de discrimination systémique.

Louise Harel se réjouit de voir que la nouvelle génération d’élues continue à travailler de front, coude à coude. On a notamment fait état dans nos pages en 2020 de la collaboration hors norme entre Christine Labrie, de Québec solidaire, Marwah Rizqy, du Parti libéral, et Véronique Hivon, alors au Parti québécois.

« Ce travail transpartisan, ça a été un des apports des femmes à l’Assemblée nationale. On pense à l’objectif visé et on s’accroche moins les pieds dans les fleurs du tapis. Le deuxième changement, c’est la gestion du temps. Quand je suis arrivée en 1981, c’était du non-stop jour et nuit en fin de session et il n’y avait aucune considération pour les obligations familiales ou parentales. Là, c’est beaucoup mieux et ça convient aux jeunes hommes aussi. Finalement, plus personne ne peut quitter la vie politique en prétextant qu’il va s’occuper de sa famille ! », lance une Louise Harel espiègle.

Dans un contexte où les femmes politiciennes sont solidaires, comment explique-t-elle que celles qui ont pris les rênes d’un parti ou du gouvernement – les Pauline Marois et Dominique Anglade de ce monde – n’ont pas fait long feu ? « Parce que tous les attributs de l’autorité, de l’audace, du pouvoir sont masculins. Ce sont des attributs qu’on a intégrés. Moi, personnellement, je pense que je fus très combative, mais ça n’a pas été perçu comme ça. On m’a toujours reproché ma petite voix. De ne pas être assez agressive, d’être trop douce. Comme si c’était antinomique ! C’est toute la question de l’exercice du pouvoir des femmes qui est en cause », conclut-elle.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je prends deux cafés corsés le matin et c’est tout, volontairement, pour le reste de la journée.

Les gens que j’aimerais réunir à table, morts ou vivants : Jeanne Mance (1606-1673), Marguerite Bourgeoys (1620-1700) et Marguerite d’Youville (1701-1771)

Le dernier livre que j’ai lu : Papineau l’incorruptible, d’Anne-Marie Sicotte

Un évènement historique auquel j’aurais aimé assister : la Grande Paix de Montréal en 1701

Qui est Louise Harel ?

Née à Sainte-Thérèse-de-Blainville en 1946, Louise Harel a été une figure de proue du mouvement souverainiste.

Députée d’Hochelaga-Maisonneuve pendant 27 ans, cette pionnière au sein du Parti québécois a été notamment ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration sous René Lévesque, ministre de l’Emploi dans le cabinet de Jacques Parizeau, ministre d’État aux Affaires municipales sous Lucien Bouchard et Bernard Landry avant de devenir la première femme à présider l’Assemblée nationale.

En 2009, elle a fait un saut en politique municipale et pris la direction de Vision Montréal.

L’ex-journaliste Philippe Schnobb vient tout juste de lui consacrer une biographie, Sans compromis, publiée aux Éditions La Presse.