C’était comme regarder un accident de train au ralenti. Ce n’est pas parce qu’on sait comment ça va finir que c’est intéressant à regarder… De même, ce n’est pas parce que l’affrontement entre le gouvernement Legault et les maires était prévisible qu’on ne doit pas écouter les demandes des villes.

Il était prévisible que le premier ministre rejette d’un revers de main la demande de rouvrir le dossier de la fiscalité municipale pour que les villes ne soient plus aussi dépendantes de l’instrument inefficace et dépassé qu’est la taxe foncière. Tous ses prédécesseurs l’ont fait.

Il l’était beaucoup moins que le ministre Lionel Carmant fasse la leçon aux maires en leur disant de baisser le ton, comme on le fait avec des adolescents turbulents. D’autant que la mairesse de Gatineau, France Bélisle, avait fait état d’une situation particulièrement troublante et tout à fait intolérable d’une femme itinérante qui a dû accoucher seule dans un boisé.

C’est à se demander pourquoi le gouvernement Legault cherche ainsi un affrontement avec les municipalités, d’autant que leurs demandes rejoignent les priorités du gouvernement du Québec.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre Lionel Carmant a fait la leçon aux maires en leur disant de baisser le ton, comme on le fait avec des adolescents turbulents.

Le ministre des Finances, Eric Girard, disait cette semaine dans une entrevue à La Presse qu’il aurait trois priorités pour la prochaine année : le logement, l’itinérance et l’adaptation aux changements climatiques. Ce sont aussi les priorités des maires.

Le problème des villes, c’est qu’elles n’ont pas les outils qu’il faut pour intervenir correctement devant ces problèmes. Cela fait des décennies que les maires et mairesses disent que l’impôt foncier n’est plus un instrument adapté à leurs nouvelles responsabilités.

La taxe foncière était un bon instrument pour assurer des services à la propriété : l’entretien des rues, le réseau d’eau, le déneigement, la gestion des ordures, etc. Quand on est rendu à s’occuper d’itinérance ou de s’adapter aux changements climatiques, on dépasse largement la capacité financière des municipalités.

Aujourd’hui, la taxe foncière est de moins en moins intéressante pour les villes. Dans l’univers numérique, on a de moins en moins besoin d’immobilier. Bien des services sont livrés sans qu’on ait de bureau.

Mais les municipalités doivent maintenant s’occuper de problèmes liés à des compétences provinciales comme les services sociaux. Lorsque ceux-ci sont débordés, ce sont les services municipaux de première ligne, à commencer par les policiers, qui doivent intervenir.

Les villes n’ont pas les ressources pour s’occuper des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Mais, dans les faits, elles n’ont très souvent pas le choix.

Tout cela fait que la fin de non-recevoir que les maires ont reçue du premier ministre Legault devient de plus en plus difficile à justifier.

Les villes ont diffusé cette semaine des chiffres qui montrent clairement combien elles manquent de ressources. Au cours de la dernière décennie (2013-2022), les revenus fonciers des villes ont augmenté de 29,3 %. Pendant la même période, les revenus du gouvernement fédéral ont augmenté de 50,3 % et les revenus du gouvernement du Québec ont augmenté de 95,1 %.

En plus, les villes sont habituées à voir le gouvernement du Québec – quelle que soit sa couleur politique – envoyer dans la cour des municipalités de nouvelles responsabilités.

Les plus vieux se souviennent de la réforme Ryan, au début des années 1990, quand le gouvernement Bourassa a, littéralement, repris le contrôle des finances publiques en transférant, sans compensation, toutes sortes de factures aux villes. Plus récemment, en 2020, le gouvernement de la CAQ a obligé les villes à céder gratuitement les terrains requis pour la construction de nouvelles écoles.

Alors, il n’est pas exact de dire que les maires ne veulent qu’un transfert de millions de dollars de Québec vers les villes.

Ce qui est nécessaire, c’est de faire cesser la dépendance des villes envers le seul impôt foncier. Et il est un peu trop facile d’accuser les villes de mauvaise administration quand on leur refuse les outils qui leur permettraient d’avoir une meilleure gouvernance.

On a répété un peu trop souvent, cette semaine, que les maires sont en train de devenir la véritable opposition au gouvernement de la CAQ. Il est vrai que la nouvelle cohorte de maires est largement composée de maires – et de plus en plus de mairesses – plus progressistes que le gouvernement actuel et plus sensibles aux problèmes sociaux vécus dans leurs villes qu’aux enjeux comptables.

Mais les maires ne visent pas un combat politique contre le gouvernement du Québec, ils veulent une réforme de la fiscalité qui est devenue incontournable avec les nouveaux problèmes dont ils doivent s’occuper.

On ne peut plus parler sérieusement de lutte contre l’itinérance, de logements sociaux ou d’adaptation des infrastructures aux changements climatiques si on ne fait pas en sorte que les villes, qui sont en première ligne, aient les ressources pour y participer.