En voyant l’annonce de l’installation de l’usine de batteries Northvolt sur la Rive-Sud, les plus vieux pourront difficilement s’empêcher de se souvenir de la venue d’une usine de Hyundai à Bromont. Il y a d’énormes différences entre les deux projets, mais aussi quelques ressemblances troublantes.

Mais d’abord, un peu d’histoire. C’était un discours récurrent des gouvernements péquistes des années 1980-1990 : la raison de l’écart entre le taux de chômage et donc de la richesse collective de l’Ontario et du Québec était l’industrie automobile. Tous ces « emplois bien payés » étaient en Ontario.

D’où l’idée de faire venir une usine automobile au Québec. En 1988, l’usine de Hyundai ouvrait à Bromont, au coût de 450 millions de dollars et générant 800 emplois directs. Mais l’usine devait fermer ses portes, temporairement d’abord, en septembre 1993, puis définitivement en mars 1994. La production de l’usine n’avait jamais dépassé 20 % de sa capacité totale. Bref, un des plus grands échecs industriels de l’histoire du Québec.

De l’histoire ancienne ? Pas vraiment. La motivation des gouvernements à l’époque comme aujourd’hui était la même : le Québec devait être « dans la parade ». L’industrie automobile, c’était alors l’avenir et les emplois payants. Il fallait y être.

Là se termine le parallèle. Avec Hyundai, le Québec voulait une petite place dans une industrie déjà à maturité. C’était un investissement de rattrapage plutôt que tourné vers l’avenir.

Avec Northvolt, le Québec s’installe aux premiers rangs de la parade de l’industrie des automobiles électriques. En plus, ses batteries auront la plus faible empreinte carbone sur le marché. On n’est donc pas dans le bas de gamme.

Mais parmi les questions que l’on peut se poser, il y a celle de savoir si la volonté de nos élus d’être « dans la parade » n’a pas eu pour effet d’affecter un peu leur sagesse. À Ottawa comme à Québec, d’ailleurs.

Par exemple, il est certain que l’une des raisons de choisir le Québec est son hydroélectricité, verte et pas chère. Mais est-ce qu’on ne serait pas en train de vendre de l’électricité que l’on n’a pas ? La question ne se pose pas de façon immédiate, mais elle va rapidement devenir incontournable.

Ce n’est pas une coïncidence si l’annonce de Northvolt vient au moment où le premier ministre François Legault annonce que trois ou quatre nouveaux barrages pourraient être considérés au Québec, en plus de ce qui pourrait provenir du Labrador, si les négociations avec Terre-Neuve se passent bien.

Mais alors, n’est-on pas exactement dans le modèle de développement du « Dollarama de l’énergie » ? Un cercle vicieux dans lequel on va attirer des entreprises grâce à notre hydroélectricité pas chère, quitte à construire toujours plus de barrages pour les satisfaire ?

D’autant que la construction de nouveaux barrages entraînera aussi une importante empreinte carbone qui contrebalancerait celle de nos vertes batteries.

Autre question : les subventions importantes à Northvolt sont justifiées, en partie, par celles que le gouvernement américain a inscrites dans le mal nommé Inflation Reduction Act ou IRA. Mais qu’arrivera-t-il si une future administration américaine (lire : si Donald Trump l’emporte en 2024) devait y mettre fin ?

Si l’IRA n’est plus là, le gouvernement a prévu de mettre fin à ses propres subventions, mais il est clair que cela créera un bouleversement important de toute l’industrie. Quel serait l’effet sur une jeune pousse comme Northvolt – une société qui n’est pas encore inscrite en Bourse ?

Enfin, il y a la question de l’acceptabilité sociale. Il est loin d’être certain que le projet fera l’objet d’une étude du Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Déjà, le ministre Pierre Fitzgibbon a indiqué que « trois ans, c’est trop long ». De toute façon, comme on l’avait vu avec le REM, les gouvernements n’écoutent que ce qu’ils veulent entendre dans les rapports du BAPE. Dans les mots choisis de Denis Coderre : « Le BAPE, c’est pas le pape ! »

Mais il y a surtout les bouleversements que l’arrivée des 3000 travailleurs de Northvolt – presque tous venant d’ailleurs – va causer dans la communauté, où il faudra construire logements, écoles, hôpital et autres services. Ce qui veut dire qu’on devra faire venir enseignants, infirmières et personnel de soutien pour servir les « emplois bien payés » de Northvolt.

Quand on voit les offres salariales du gouvernement à ses employés, on ne peut que constater l’écart entre les « emplois bien payés » de la nouvelle usine et les salaires bien plus modestes de ceux qui leur donneront les services.

L’écologie est, dit-on, « la science des interactions entre les êtres vivants ». C’est ce qui fait que la disparition d’une petite grenouille peut, à terme, affecter la vie de grands mammifères.

Pour cette petite communauté de la Rive-Sud, il faudra aussi s’interroger sur l’arrivée des 3000 « emplois bien payés » en regard des salaires très ordinaires du secteur public et des services. Dans l’écologie de la région, c’est un déséquilibre auquel il faudra répondre.