Existe-t-il un chemin qui pourrait permettre à Justin Trudeau de remporter un quatrième mandat de suite – un exploit inédit depuis l’époque de Wilfrid Laurier ? Oui, mais il est très étroit et parsemé d’obstacles, selon des stratèges libéraux.

Scott Reid, ancien proche collaborateur de l’ex-premier ministre Paul Martin, estime que Justin Trudeau doit rapidement se donner comme objectif de reconquérir les électeurs qui lui ont tourné le dos au cours des 12 derniers mois. Cette reconquête doit se faire d’une manière ciblée, méthodique et stratégique, un groupe d’électeurs à la fois, en commençant par les femmes dans la région de Toronto et ses banlieues.

Ensuite, le premier ministre doit s’employer à reprendre le terrain perdu au profit du Bloc québécois au Québec.

Jusqu’à tout récemment, le Parti libéral avait réussi à garder le fort au Québec. Je ne pense pas que ce soit inconcevable de ramener ces électeurs dans le giron libéral.

Scott Reid, cofondateur de la firme de communication Feschuk-Reid

Cette reconquête doit culminer par une campagne électorale soutenue qui offrira aux Canadiens « un choix dur » entre Justin Trudeau et Pierre Poilievre, poursuit celui qui est aussi analyste politique au réseau CTV.

« Il fait face à des circonstances très difficiles. Mais il faut que le choix soit très clair entre Pierre Poilievre et Justin Trudeau. Il ne faut pas que ce soit un référendum sur son gouvernement ou l’économie. Un chef ne remporte pas quatre élections de suite aujourd’hui sans convaincre l’électorat que l’option de rechange est repoussante. Mais jusqu’ici, il faut dire que les libéraux ont fait un travail minable à cet égard. Ils ont donné à Pierre Poilievre un an pour se définir lui-même. Cela rend les choses plus difficiles aujourd’hui », analyse M. Reid.

« Disons que la voie ensoleillée s’est pas mal ennuagée ! », lance pour sa part au bout du fil Jeremy Ghio, ancien stratège libéral à Ottawa et directeur de TACT Conseil à Montréal.

Il y a toujours un chemin. Le problème, c’est que le chemin repose de plus en plus sur Pierre Poilievre qui fait des erreurs et de moins en moins sur Justin Trudeau qui gagne.

Jeremy Ghio, ancien stratège libéral à Ottawa et directeur de TACT Conseil à Montréal

« Espérer en politique, ce n’est jamais une bonne stratégie. Espérer que Pierre Poilievre va faire une erreur qui va refroidir les Canadiens et les faire revenir vers le Parti libéral, ce n’est pas comme cela que tu vas gagner les prochaines élections. Tu ne peux pas te lancer en campagne en misant sur cela », analyse M. Ghio.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Justin Trudeau et le chef du NPD, Jagmeet Singh, à l’occasion d’un débat des chefs à Gatineau, lors de la campagne électorale de 2021

Robert Asselin, qui a conseillé Paul Martin et l’ex-ministre des Finances Bill Morneau et qui est aujourd’hui premier vice-président au Conseil canadien des affaires, soutient que le pacte qu’a conclu le gouvernement Trudeau avec le NPD nuit à sa crédibilité sur le plan économique et fiscal. « Ce n’est plus le parti de l’économie ni le parti des finances publiques. Historiquement, le Parti libéral a eu du succès parce que c’était un parti du centre. Cela explique les 100 ans de domination de ce parti depuis l’époque de Wilfrid Laurier », explique-t-il.

M. Asselin ajoute qu’un parti qui ne fait pas de l’économie sa priorité court à sa perte. « Dans n’importe quel pays, si tu ne t’occupes pas de l’économie, s’il n’y a pas de croissance économique, éventuellement tu ne seras pas capable de payer pour toutes les bonnes choses que tu mets en œuvre. En ce moment, on finance des programmes comme les soins dentaires et l’assurance médicaments avec de l’argent emprunté. Cela veut dire que ces programmes, par définition, ne sont pas viables à long terme. »

Parmi les autres défis de taille à relever : regagner l’appui des jeunes électeurs – un groupe qui a joué un rôle déterminant dans la victoire spectaculaire du Parti libéral en 2015, qui est alors passé de la troisième place à la première après 78 jours de campagne.

Selon Scott Reid, il sera quasi impossible de retrouver leur faveur, malgré la priorité qu’accorde le gouvernement Trudeau à la lutte contre les changements climatiques, à cause de la crise du logement et de l’augmentation du coût de la vie en général.

« Il faut que les libéraux s’attardent à forcer les électeurs à réévaluer leur décision de ne pas voter pour Justin Trudeau. Cela veut dire amener les gens à conclure que les choses que fait le gouvernement libéral sont admirables et méritent d’être poursuivies. Mais le défi, c’est de trouver une façon naturelle et authentique de provoquer cette admiration. Cela ne peut pas être orchestré », soutient Scott Reid.

« Je ne veux pas prétendre qu’il existe une lampe magique que l’on peut frotter et qu’un génie de la victoire va en sortir. C’est un contexte politique difficile pour les libéraux. »

PHOTO MARCO BELLO, ARCHIVES REUTERS

Donald Trump

Il ajoute que Justin Trudeau doit aussi se présenter comme le défenseur des intérêts du Canada face à la possibilité d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

« Que vous viviez au Canada, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, il n’y aura pas d’enjeu plus fondamental pour vous que ce qui va arriver aux États-Unis. Un Donald Trump sans retenue, comme il le sera s’il redevient président, va provoquer une onde de choc. Tout le monde va se poser la question suivante : que doit-on faire pour protéger nos intérêts face aux États-Unis qui ne sont plus un allié fiable et prévisible ? Je crois qu’il va démanteler l’OTAN, qu’il va essayer de déchirer l’[Accord Canada–États-Unis–Mexique]. Il ne fait aucun doute que cela va avoir un effet catalyseur dans l’esprit des électeurs. »