L’offre abondante et mondialisée en matière de culture pose des défis majeurs dans bien des secteurs. Professionnels et observateurs suggèrent des pistes constructives.

Être présent en quantité

Il faut faire preuve de créativité pour rejoindre le public, convient Hélène Messier, de l’Association québécoise de production médiatique (AQPM), mais pas baisser les bras devant la concurrence féroce venue de l’étranger. « On doit être présent et on doit être présent en quantité », dit-elle, convaincue. François Colbert, titulaire de la Chaire de gestion des arts à HEC Montréal, le croit aussi. « Il faut continuer à parler de nous », juge-t-il, autant à travers des productions grand public que d’autres, plus nichées. Une augmentation du financement sera nécessaire, sinon « on va frapper un mur quant à la qualité de ce qu’on peut offrir par rapport aux attentes du public », estime Hélène Messier.

Soutenir l’émergence coûte que coûte

« Les réseaux qui soutiennent la scène musicale locale sont encore forts, constate Dannick Trottier, directeur du département de musique de l’UQAM. On doit soutenir nos leviers d’insertion professionnelle. » Ces « leviers », comme il dit, ce sont par exemple les petites salles comme le Verre bouteille, les concours (Francouvertes, Ma première Place des Arts, etc.) ou les bourses données par différents organismes professionnels. « Il faut absolument que ça reste parce que sans ça, l’offre ne sera plus écrémée, prédit-il, et il sera encore plus difficile d’y voir clair. »

Personnaliser l’expérience du spectacle

Pourquoi ne pas proposer de meilleurs sièges, un verre de vin, le vestiaire gratuit ou une autre petite attention à ses abonnés ou à ses clients les plus assidus ? « On doit les reconnaître et prendre soin d’eux. On doit mettre le spectacle au cœur d’une soirée qu’on amène plus loin, pense Mickaël Spinnhirny, agent et producteur spécialisé en danse contemporaine. Ce qui va compter pour le public, c’est l’expérience. » Et elle sera récompensée entre autres par un bouche-à-oreille favorable, prévoit-il. La créativité en marketing sera essentielle et ne demande pas toujours de réinventer la roue : il signale que la compagnie Danse Danse permet notamment à ses abonnés d’échanger ou même de se faire rembourser des billets sans frais. Ses abonnements sont maintenant en hausse.

« Taxer » les appareils

La nouvelle Loi sur la radiodiffusion cherche à forcer les géants de l’internet comme Meta et Google à contribuer au contenu culturel et médiatique canadien, déplore Nellie Brière, stratège en communication numérique. La solution, selon elle, serait plutôt de prélever une redevance sur les appareils qui donnent accès aux contenus : téléphone, ordinateur, tablette, assistant personnel intelligent (Alexa, Google Home, etc.), casque de réalité virtuelle et autres. « On ne peut pas dépendre de deux entreprises, tranche-t-elle. Pour assurer la survie d’une chose aussi importante que la culture, il va falloir mettre de l’avant une règle plus large qui s’applique à une multitude d’entreprises. »

Se servir des outils numériques

« La plupart des directeurs artistiques des grandes maisons de disques passent beaucoup de temps à analyser l’écoute en ligne et vont beaucoup sur les réseaux sociaux comme YouTube et TikTok », assure Mario Lefebvre, président de FlairMic et pilier de l’industrie québécoise depuis 50 ans. Il remarque que le public est au rendez-vous lorsque l’étincelle se produit. « Je suis très impressionné par les parcours de Charlotte Cardin et de Roxane Bruneau », dit-il, soulignant leur authenticité. Mario Lefebvre relève toutefois ceci : ces artistes et leur entourage ont aussi « travaillé très habilement tous les nouveaux outils et plateformes web » à leur disposition. Une stratégie à adopter, selon lui.

Transparence dans les données

L’une des choses qui manquent aux producteurs de contenu, selon Hélène Messier de l’AQPM, ce sont des données qui concernent la performance de leurs œuvres sur les plateformes numériques. « Les producteurs n’ont pas accès aux données concernant la composition des auditoires, regrette-t-elle. Ce serait plus facile de mieux cibler, de faire des efforts de promotion et de favoriser l’engagement avec le public s’ils réussissaient à obtenir davantage de données de la part des diffuseurs et des plateformes numériques. »

Investir l’internet

Nellie Brière estime que l’audiovisuel québécois devrait investir l’internet. « Au Québec, on n’a presque pas de production web. Ça, c’est hallucinant. On est peut-être productifs sur bien des terrains, mais côté web, on est à l’époque médiévale. Les ados ne regardent pas la télé, mais on n’a pas d’argent pour produire pour le web, relève-t-elle. Peut-être qu’il y a des réorganisations d’investissement à faire. » Nellie Brière trouve aussi essentiel de soutenir les plateformes québécoises de diffusion de contenu existantes, même en sachant qu’elles ne concurrenceront jamais Netflix.

Repenser le financement

Jacinthe Plamondon Émond, d’InTempo Musique, pense que le processus menant à l’obtention de subventions mériterait d’être revu. « Les évaluations sont basées sur des indicateurs de performance comme les revenus et le nombre d’écoutes en ligne, dit-elle, parlant de la musique populaire. D’après moi, c’est le plan d’affaires qui devrait être évalué. Des fois, tu n’as pas les chiffres pour le démontrer, mais ton plan et tes projets avancent. Tant que l’évaluation sera basée sur les revenus totaux des entreprises, c’est le volume qui sera privilégié. »