La course sur les dépôts de la Silicon Valley Bank (SVB) a forcé la main des régulateurs américains, qui ont volé au secours de ses riches clients, dans un précédent lourd de conséquences.

Une hausse des taux d’intérêt favorise généralement la rentabilité des banques, sauf les mal gérées comme la SVB, prisée par les fonds en capital-risque et leurs pousses technos.

Démontons cette mécanique déréglée.

La vague d’investissements en technologie a créé un afflux de dépôts à la SVB qui, faute de prêts à l’avenant pour équilibrer son bilan, en a parqué beaucoup dans des obligations à long terme du Trésor américain. Zéro risque de crédit, mais énorme risque de taux d’intérêt non géré.

De fait, la hausse des taux de la Fed a fortement diminué la valeur des obligations. La hausse a aussi incité des clients à préférer les taux flottants du marché monétaire, au maigre rendement des dépôts.

Ces sorties de fonds ont forcé la banque à vendre des obligations à perte. Pour rebâtir son capital affaibli, Goldman Sachs a piloté une émission d’actions qui a échoué.

Il a suffi d’une volée de tweets pour répandre la panique. Les clients plus rapides ont sorti des milliards ; les autres se sont butés aux portes verrouillées par la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), qui a pris le contrôle de la SVB, vendredi dernier.

Sa règle est claire : les dépôts sont assurés jusqu’à 250 000 $US. Sauf que 96 % d’entre eux dépassent ce plafond à la SVB, une proportion anormalement élevée.

Le week-end fut le théâtre d’un intense lobby des capitaux-risqueurs, plaidant l’incapacité des jeunes pousses à verser les salaires. Faut dire que les régulateurs craignaient une contagion aux autres banques régionales, qui subissaient des sorties de fonds et plongeaient en Bourse. D’ailleurs, la Signature Bank, plus grand prêteur aux spéculateurs cryptos, fut fermée au même moment.

« Les déposants de la SVB sont des gens très puissants, très riches et très influents, porteurs d’un discours qui les rend indispensables à une vision d’avenir de l’Amérique », explique Adam Tooze, l’historien qui a écrit l’ouvrage de référence sur la grande crise financière de 2007-2008.

Dès lundi, le président Biden déclarait que « les Américains doivent être assurés que notre système bancaire est sûr. Vos dépôts sont en sécurité ». Toutefois, c’est l’industrie bancaire et non le contribuable qui paiera la note, comme dans les sauvetages précédents.

Pour autant, les régulateurs européens sont furieux que leurs collègues américains aient jeté par-dessus bord les règles de gestion des crises bancaires, rapporte le Financial Times.

À l’avenir, « il sera bien difficile de refuser le même traitement à d’autres banques sous pression », juge le financier Mohamed El-Erian.

Selon Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor, « le gouvernement américain a signalé à tous les déposants – grands et petits – que leurs dépôts sont en sécurité dans toutes les banques. C’est le signe qu’on ne peut plus se fier à la discipline du marché, mais qu’on doit se fier la discipline de la réglementation ».

C’est probablement trop demander aux clients des banques de vérifier la solvabilité de leur institution. Les actionnaires doivent être plus attentifs, car ceux de la SVB ont tout perdu.

Au sortir de la grande crise financière, on avait considérablement resserré les exigences en capital et en liquidité des banques. Les régulateurs avaient imposé des simulations pour tester leur robustesse. Aux États-Unis, toutes celles ayant un actif supérieur à 50 milliards y étaient soumises.

Mais en 2018, sous l’administration Trump, on a soulagé les banques de taille moyenne en relevant ce seuil à 250 milliards.

« Comme le modèle d’affaire de la SVB ne pose pas de risque systémique, imposer les exigences onéreuses de Dodd-Frank conçues pour les plus grandes banques, serait un fardeau trop lourd », avait plaidé au Congrès son PDG, Greg Becker.

Cette crise ramène le balancier. La Fed s’apprête à resserrer l’encadrement en diminuant le seuil des banques d’importance systémique à 100 milliards. Le temps est venu de renforcer les garde-fous, plaide la SEC.

Le système américain est bien différent du nôtre avec ses 5281 banques. Depuis 20 ans, plus de 500 ont fait faillite. Le Canada n’a qu’une trentaine de banques, mais l’actif est fortement concentré chez les six bien connues, les sept, si on inclut Desjardins. Depuis 1996, seule une illustre inconnue, la Security Home Mortgage Corporation, a fait faillite.

Les banques canadiennes ont certes profité des liquidités de la Banque du Canada durant la crise 2007-2008, remboursées peu après, mais elles n’ont pas eu besoin d’injection en capital du gouvernement, comme en Europe et aux États-Unis.

Surtout, il n’y a pas eu de relâchement réglementaire. Toutefois, le plafond de l’assurance dépôt fixé à 100 000$ par compte depuis 2005 mériterait d’être révisé. Ne relâchons pas la vigilance, la hausse des taux n’a pas fini de tester le système financier, à témoin l’inquiétude qui secoue le Crédit Suisse.