Le 28 janvier dernier, mon fils de 16 ans réussissait son examen théorique de conduite. Dès le lendemain, l’école de conduite lui envoyait son certificat par courriel lui permettant de faire produire son permis d’apprenti conducteur. Garçon, fou de joie, croyait que le 30 janvier, il aurait la chance d’apprendre à conduire notre voiture sous les bons conseils de papa.

Avouez que je viens de vous arracher un éclat de rire ?

Et oui ! À ce moment-là, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) procédait à la migration de son système informatique et se retrouvait en période de services minimaux.

Qu’à cela ne tienne, nous sommes allés chercher fiston à l’école pendant une période consacrée à l’étude, nous promettant de récupérer cette étude à la maison. Nous pensions naïvement que la SAAQ avait prévu une solution de contingence pour tous les apprentis conducteurs du Québec.

Ç’aurait été si simple : on reçoit l’ado en succursale, on constate qu’il a réussi son examen à l’aide de son certificat remis par l’école de conduite, on confirme son identité à l’aide de sa carte d’assurance maladie et de son certificat de naissance et on remplit un formulaire à la main qui l’autorise à conduire le temps que cette foutue migration se termine.

Et bien… non ! L’ado s’est fait revirer de bord, on a coupé court à son enthousiasme et on lui a dit de revenir le 20 février, tout en lui mentionnant qu’il serait préférable qu’il prenne rendez-vous sur la plateforme SAAQclic lorsqu’elle serait disponible.

C’est là que l’histoire s’est corsée.

Le 20 février, nous nous sommes à nouveau présentés à la SAAQ. L’ado n’aura été présent dans le corridor de cette succursale que trois minutes. On lui a dit de revenir dans deux semaines, en lui rappelant qu’il était préférable de prendre rendez-vous.

À ce stade-ci, vous vous demandez peut-être pourquoi diable je m’obstine à ne pas prendre rendez-vous pour mon ado sur SAAQclic. La raison est simple : il est impossible de prendre rendez-vous lorsqu’on est un jeune mineur apprenti conducteur. Vous avez bien lu.

En effet, pour pouvoir s’authentifier sur cette nouvelle plateforme, il faut fournir :

  • le numéro d’assurance sociale. Ce ne sont pas tous les mineurs qui en ont un ;
  • le numéro de la carte d’assurance maladie ;
  • un numéro d’avis de cotisation. Ce ne sont pas tous les mineurs qui travaillent ;
  • le numéro de permis de conduire. Bon. Comment dire ? Me permettez-vous de ne pas être obligée d’expliquer pourquoi un ado qui tente d’obtenir son permis d’apprenti conducteur… n’a pas de numéro de permis de conduire ?

Nous voilà donc dans un no man’s land. Cette semaine, en entendant Denis Marsolais, PDG de la SAAQ, expliquer à Paul Arcand que le tout ne reviendrait pas à la normale avant la fin d’avril, je me suis étouffée dans mon café.

Sachez que je ne jette pas la pierre à M. Marsolais. Quiconque œuvre au sein de la fonction publique ou en périphérie sait à quel point cet homme est compétent, respecté, dévoué et qu’il suscite l’engagement.

Si j’écris tout cela, ce n’est pas tellement parce que je trouve que mon ado fait pitié. Il va s’en remettre.

Non, si j’écris tout cela aujourd’hui, c’est que je constate que cette société a tendance à oublier ses jeunes.

Je tente de m’imaginer ces nombreuses réunions où il a été question des éléments nécessaires à l’authentification. Il y avait sûrement plusieurs personnes autour de la table : du politique, des fonctionnaires, des conseillers, des experts externes et j’en passe. Bref, des dizaines de personnes.

Pas un seul humain n’a pensé lever la main et dire : « S’cusez-moi, mais je crois que pour les ados, ce qu’on demande ne sera pas possible ? Il faudrait peut-être penser à une solution sur mesure pour eux ? »

Il semble bien que non. Et ça, c’est un brin épeurant. C’est surtout triste.

En terminant, ajoutons ceci : dans les « machines », il y a des humains. Et, autour de ces « machines », il y a des parties prenantes.

Si les humains DANS les machines et si les parties prenantes répondent tous constamment qu’ils ne sont pas responsables de l’enjeu et qu’ils ne peuvent strictement rien faire, on s’entend qu’on n’est pas sorti de l’auberge ?

Dans le cas présent, l’école de conduite est une partie prenante. Elle répond qu’elle ne peut rien faire. Que c’est la faute de la SAAQ. L’école ne modifie en rien ses propres règles. Elle ne permet pas aux jeunes de poursuivre au moins l’étude de leurs modules théoriques (six et plus). Elle ne les autorise pas à suivre plus d’un cours par semaine (quelle règle bizarre, en passant) pour éventuellement rattraper le retard. Depuis la saga SAAQ, elle n’a pas communiqué une seule fois avec tous ses clients qui paient pourtant plus de 1000 $ pour suivre ses cours. Pire, elle maintient que si les cours ne sont pas suivis dans les délais prescrits, il y aura des frais supplémentaires.

Désolée, mais selon moi, voilà une partie prenante qui contribue à amplifier un sacré bordel plutôt que de contribuer positivement à l’atténuer.

Ceci n’est pas un billet d’humeur d’une mère hélicoptère qui s’en fait pour son p’tit ado chéri.

Non. Ceci est un billet d’humeur d’une citoyenne de 45 ans qui commence à drôlement s’inquiéter de notre manie répétée à oublier nos propres enfants, de ce désengagement qu’on sent partout, de notre incapacité à mettre en œuvre et du mur qu’on va finir par collectivement frapper.

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