En réplique au texte de Marc Tremblay sur les médecins spécialistes, « Votre profession, c’est à nous que vous la devez1 », publié le 30 mars

Marc Tremblay soutient que les médecins québécois auraient une dette envers la société québécoise en raison du financement public de leur formation et qu’ils feraient partie du problème dans le réseau de la santé. Sa lettre aura certainement offensé plus d’un médecin par sa proposition d’envoyer une facture aux spécialistes pour leur rappeler le coût de leur formation.

En mettant l’accent entièrement sur la contribution de l’État, l’auteur ne reconnaît aucune autonomie aux individus ayant suivi ces longues études. Je propose plutôt d’augmenter le nombre de médecins formés pour résoudre certains des problèmes que soulève M. Tremblay.

Là où M. Tremblay rejoint davantage la plupart des Québécois, c’est en déplorant que des médecins aient pu, dans des négociations passées, faire planer la menace de quitter le Québec pour soutirer des concessions. Mais si la menace des médecins de quitter le Québec a autant de poids, c’est surtout à cause du trou dans les effectifs qui est créé par tout départ. Cela serait vrai même si les médecins avaient assumé la totalité de leurs coûts de formation.

Et puis, exiger des médecins qu’ils remboursent leur formation s’ils quittent le Québec, comme le suggère M. Tremblay, pourrait en inciter certains à le faire, se sentant dévalorisés. On ne serait pas plus avancé.

Si M. Tremblay veut qu’on réduise, à terme, le pouvoir des médecins de menacer de quitter le Québec, c’est du côté des admissions en médecine qu’il devrait regarder.

Il y a seulement quelques années, le ministre de la Santé de l’époque, Gaétan Barrette, a réduit le nombre d’admissions en médecine, craignant de former « des médecins chômeurs ». En général, le gouvernement dit se fonder sur des modélisations des besoins d’effectifs médicaux afin de fixer le nombre de places en médecine, faisant supposément en sorte que la question soit purement actuarielle.

Économies de rémunération

Mais il est fallacieux d’estimer les effectifs requis et de penser qu’on doit former exactement ce nombre de médecins. L’estimation est nécessairement imprécise, et l’impact d’une erreur d’estimation est asymétrique. Quand on forme trop peu de médecins, la population manque de services, et les médecins sont débordés. Si on en formait « trop », la charge de travail pourrait être mieux distribuée parmi les médecins, et le gouvernement obtiendrait davantage de pouvoir de négociation, ce qui permettrait par exemple de faire diminuer leur rémunération sans avoir peur des départs. Ces économies de rémunération peuvent facilement dépasser le coût de la formation des médecins « de trop ». Et tout ça, sans exiger de remboursement à qui que ce soit.

Les syndicats de médecins ne s’étant pas toujours opposés à la hausse des admissions, cela pourrait sembler ne pas diminuer leur pouvoir de négociation.

Mais la pénurie peut avoir été telle qu’on pourrait augmenter considérablement les admissions avant d’atteindre le point d’équilibre.

Ma proposition va plus loin en suggérant de former, à terme, un nombre de médecins au-delà des effectifs minimums requis. Une telle stratégie nécessiterait de gérer les postes en résidence de façon compatible.

Bien entendu, on ne crée pas de places dans les universités ni de stages d’externat dans les hôpitaux en claquant des doigts. Mais étant donné la diminution du nombre des places par le passé, il est évident que nous n’avons pas toujours formé autant de médecins que ce qui était possible. Bien que je déplore le ton acerbe de M. Tremblay envers nos médecins, je crois qu’il est légitime d’avoir un malaise face au rapport de force créé par le risque, réel ou perçu, de l’exode des médecins formés ici. À l’avenir, ceux qui déplorent ce pouvoir de négociation des médecins devraient suggérer d’en former davantage, plutôt que de leur envoyer une facture par la poste.

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