Nous souhaitons réagir à l’article paru dans La Presse, édition du 9 avril 2023, « Les héros de l’ombre : l’usine à miracles ».

Nous faisons partie d’une équipe-école d’un centre d’éducation pour adultes (CEA). Bien que Déclic soit un organisme génial et que sa mission soit tout à fait noble, l’article contient quelques généralités et nous aimerions vous présenter certaines nuances et des pistes de réflexion.

Enfin, cette lettre veut mettre en lumière qu’il est possible de faire de belles choses dans un CEA et que nous en sommes la preuve ! Tant mieux si nous pouvons donner l’envie à d’autres CEA d’emboîter le pas.

Un trou, une voie de garage

L’éducation des adultes (ÉDA) n’est pas une voie de garage ni un trou de l’éducation. C’est réducteur pour les milliers de personnes qui y travaillent et qui s’y dévouent jour après jour. Nous aussi, on en fait des miracles.

On voit chaque jour des réussites de toutes sortes ! Des élèves qui réussissent leur formation de base et accèdent à la formation générale, ça arrive souvent. Seront-ils tous détenteurs d’un DES, non ! Mais est-ce vraiment important ? Certains pourront obtenir les prérequis pour aller dans un DEP et obtenir une spécialité dans un domaine X. Si ce n’est pas une réussite, ça, nous ignorons ce que ça prendrait de plus !

Nous vivons aussi de belles réussites sociales ! Parce que, pour nous, la réussite n’est pas qu’académique. Les élèves relèvent des défis au quotidien. Les données le prouvent ; pour apprendre, il faut être disposé à apprendre. Or, une partie du travail d’un CEA est d’accompagner les élèves vers des ressources qui leur permettront d’agir sur une problématique sociale, et ensuite, l’élève sera disposé à apprendre.

Des projets concrets

Des projets concrets en ÉDA, ça existe aussi. Les centres de services scolaires (CSS) reçoivent des allocations pour répondre à certains besoins.

Prenons par exemple la mesure des sorties éducatives. Nos élèves ont accès à des sorties au musée, au théâtre, etc. On participe ainsi à leur éveil culturel et ces activités sont une excellente porte d’entrée pour d’autres apprentissages.

Nous avons aussi développé un projet vert avec l’aide d’une autre mesure gouvernementale. Des élèves supervisés par un enseignant responsable s’occupent des plantes, font des boutures et des semis pour égayer le centre. Le projet grossit cette année avec l’aménagement d’un petit jardin communautaire dans la cour arrière ainsi que la construction d’une serre. À travers un tel projet, des élèves vont certainement développer des intérêts pour l’horticulture, la menuiserie.

Nous diversifions aussi notre offre de services avec des cours optionnels de toutes sortes pour couvrir le plus d’intérêts possible : la musique, les arts, l’impression 3D.

Pas de ressources

Des ressources qui ne suivent pas ? Dire que les élèves sont laissés à eux-mêmes avec leur dysphasie ou leur dyslexie est complètement faux. Au contraire, l’élève peut bénéficier d’un soutien particulier en ÉDA avec les différentes ressources.

Nous avons des enseignants en soutien pour les élèves qui éprouvent des difficultés. Nous avons une orthopédagogue, des conseillers pédagogiques, des psychoéducateurs, des techniciennes en éducation spécialisée, des conseillers en orientation. L’ÉDA peut devenir un beau milieu d’apprentissage. Il faut utiliser les sommes qui sont allouées pour répondre à ces besoins.

Pas de cours magistraux et pas de gestion de classe

Généralité et fausseté. Nous offrons le cours d’histoire en magistral et un cours de mathématiques en projet pilote. Certains enseignants de langues secondes sont aussi en enseignement explicite plusieurs fois par semaine.

Ces pratiques pédagogiques font partie des pratiques probantes. Et elles sont utilisées dans notre CEA. Le modèle individualisé a ses lacunes, bien évidemment. Mais si on décide d’en faire une opportunité d’interventions explicites de stratégies, ça peut devenir un tremplin vers de meilleurs apprentissages.

Il est faux de dire que l’ÉDA n’a pas de gestion de classe. Les troubles de comportement, la santé mentale sont des choses à gérer au quotidien. Prétendre que les enseignants ne font qu’attendre les questions est lourd de sens et très méprisant pour ces spécialistes de l’éducation.

Les propos de cet article démontrent clairement une intention de peinturer l’ÉDA dans le coin pour faire briller un autre service d’un milieu en particulier. Il aurait été intéressant d’élargir l’éventail des recherches avant de coucher sur papier des mots qui peuvent blesser des intervenants qui sont engagés. D’ailleurs, on vous invite à venir nous voir !

Pour terminer, nous souhaitons réitérer notre engagement envers tous ces élèves qu’on laisse trop souvent sur le banc. L’ÉDA a été sous-financée pendant longtemps. Elle l’est encore d’ailleurs. Nous savons qu’il y a du travail à faire sur le terrain.

Ce que nous avons voulu mettre au clair ici, c’est que c’est possible de faire mieux et qu’il est vrai que l’ÉDA doit se remettre en question pour faire face aux changements qu’elle subit depuis des décennies et qu’elle doit mieux répondre aux besoins des élèves.

Plusieurs modèles d’éducation peuvent cohabiter. Il y a tellement de jeunes différents, avec des intérêts différents, des opportunités sociales différentes et des difficultés d’apprentissage que plus nous aurons d’endroits propices à leur offrir pour s’épanouir, plus il nous sera possible de les propulser encore plus haut.

* Les autres signataires de la lettre sont Mylaine Goulet, conseillère pédagogique, Nancy Béland, enseignante et conseillère pédagogique et Mathieu Laperle, enseignant.

1. Consultez le dossier de Katia Gagnon « Les héros de l’ombre : l’usine à miracles » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion