Vienne est régulièrement citée comme modèle en logement⁠1,2. Près de 60 % des locataires y vivent dans des logements subventionnés, soit administrés par la Ville de Vienne (Gemeindebau 31 %) ou par des OSBL (26 %). Mais le logement est-il plus abordable pour autant ? Je me suis mis à faire une petite recherche. Les résultats m’ont surpris.

L’auteur de ces lignes est d’origine viennoise. J’adore Vienne. J’ai la chance de lire l’allemand et de profiter de contacts à Vienne qui m’ont été d’un grand secours dans ma petite recherche.

Montréal plus abordable ?

Le loyer seul n’est pas un bon indicateur d’abordabilité. Les loyers subventionnés à Vienne sont assujettis à des conditions de résidence (deux ans, en général), de citoyenneté et de statut familial. Tant dans les logements subventionnés que privés, les frais d’entretien sont parfois à la charge du locataire qui doit aussi, généralement, mettre des fonds propres (Eigenmittelbeitrag) calculés en fonction des coûts de terrain et de construction qui peuvent s’élever à 50 000 $ par appartement.

Le meilleur indicateur d’abordabilité reste la part du revenu consacrée au logement. Heureusement, Statistik Austria et Statistique Canada publient des données similaires (recensements 2021).

À Montréal, 20 % des ménages et 28 % des locataires consacraient plus de 30 % de leur revenu au logement. Alors qu’à Vienne, 25 % des ménages consacraient plus de 31 % de leur revenu au logement, 40 % pour les locataires.

Bref, le coût du logement pèse plus lourd à Vienne et la compassion continue de favoriser Montréal où, à la différence de Vienne, la part a diminué (2016–2021). Surprenant, non ?

Les temps changent

Les fonds publics généreux consacrés au logement (toutefois, les chiffres exacts sont difficiles à trouver) ont permis à Vienne, au cours de l’histoire, de produire les superbes ensembles d’habitation devenus les vitrines de sa politique d’habitation, dont les célèbres logements sociaux de l’époque héroïque de la Rot Wien (Vienne la rouge) de mes parents. Ce legs lui a aussi permis d’hériter d’une impressionnante réserve foncière, outil précieux de planification urbaine.

Cet exploit devait beaucoup à l’absence de croissance démographique ; la population est stable depuis la Première Guerre mondiale. Or, l’arrivée massive d’immigrants de l’Europe de l’Est et d’ailleurs est en train de changer la donne. La construction ne suit plus la demande. Vienne aura besoin de 15 000 logements par année selon des prévisions ; le chiffre réel tourne autour de 7500.

Le 16 mai, le grand quotidien viennois Die Presse titrait : « Vienne fait face à une pénurie de logements ». Le taux d’inoccupation des logements locatifs est aujourd’hui de 2 %, comme à Montréal.

Aucune Gemeindebau ne s’est construite entre 2004 et 2019, contrainte par les coûts de rénovation des vieux bâtiments. La construction neuve de logements subventionnés est surtout portée par les OSBL qui, comme à Montréal, font face aux hausses des coût de construction et de financement avec des conséquences prévisibles pour les loyers, établis selon le principe de recouvrement des coûts, sans même parler des logements privés.

La critique la plus fréquente lancée au modèle viennois est que ce n’est pas une politique de logement social. Le plafond d’admissibilité (revenu annuel) pour accéder à un logement subventionné (ménage de deux personnes) est actuellement à 79 500 euros, soit environ 105 000 $. La majorité des Viennois y ont donc accès, avec des périodes variables d’attente. Les ménages de classes différentes sont en concurrence et les mécanismes d’attribution ne sont pas toujours transparents. Les ménages les plus démunis (qui répondent à des critères précis) sont, paraît-il, mieux servis qu’à Montréal grâce à des voies rapides ; on parle d’un mois d’attente par rapport à parfois des années à Montréal. Il reste que la majorité des logements subventionnés, en général de belle qualité architecturale, sont destinés à une population plutôt aisée. À noter finalement : une partie du marché échappe totalement au contrôle des loyers.

Remplacer le marché ou l’encadrer

Il reste la question centrale. Pourquoi Vienne ne fait-elle pas mieux que Montréal ? Les artisans du modèle viennois ont voulu remplacer le marché, en faisant le pari que le poids du logement public, dont les prix sont fixés par l’État, exercera un impact baissier sur l’ensemble du marché. L’impact baissier sur les prix est réel et confirmé par des études autrichiennes. Or, le Québec a plutôt choisi d’encadrer le marché par l’intermédiaire notamment du Tribunal administratif du logement (c’est le pari), sans nuire au bon fonctionnement du marché. Mes propres études⁠2 confirment un effet baissier analogue pour les villes québécoises, le poids du loyer étant systématiquement en deçà du reste du Canada. Le résultat final, nous l’avons vu, n’est pas très différent de Vienne, même légèrement mieux.

La comparaison Vienne-Montréal nous apprend deux choses : tout d’abord, il n’existe pas de modèle miracle et le nôtre n’est finalement pas si mauvais. Ensuite, que le logement soit public ou privé ne change rien à la réalité des coûts et à la nécessité que l’offre réponde à temps à la demande. Toute politique doit satisfaire à au moins trois conditions : loger les plus démunis, protéger tous les locataires et assurer que l’offre soit au rendez-vous. Ce n’est pas une équation facile.

1. Lisez la lettre : « Logements abordables : Vienne ne s’est pas construite en un jour » 2. Lisez l’article d’Isabelle Ducas dans La Presse : « Logement social : les leçons de Vienne » 3. Lisez la lettre du professeur Polèse : « La prochaine crise du logement » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion