En 2016, j’étais nommée au Sénat, consciente que l’un de mes principaux rôles serait de porter à Ottawa la voix des personnes vivant avec un handicap. J’étais habitée par cette responsabilité et cette occasion unique de contribuer à la transformation de nos milieux de vie en lieux accessibles, plus inclusifs. Sept ans plus tard, je réalise à quel point la partie n’est pas encore gagnée. L’étendue des besoins est énorme et les barrières sont sur tous les plans. Fort heureusement ça bouge.

Lentement mais sûrement, on note un changement de culture. Cette conversation sur l’inclusion et la diversité prend enfin la place qu’elle mérite. Depuis 2019, avec l’adoption de la Loi canadienne sur l’accessibilité, le gouvernement fédéral et les entités qui en relèvent devront éliminer, d’ici 2040, les obstacles auxquels se heurtent quotidiennement des millions de Canadiens vivant avec un handicap.

Il y a quelques jours à peine, l’histoire s’est écrite avec l’adoption de C-22, un projet de loi qui crée la prestation pour les personnes handicapées à faible revenu âgées de 18 à 64 ans.

Ce soutien financier mensuel, qui débutera certainement en 2024, devrait réduire la pauvreté vécue, de façon disproportionnée, par plus de 1 million de Canadiens en situation de handicap.

Mais ça ne sera pas suffisant. Il faudra plus, et mieux, pour tous, y compris pour les personnes en situation de handicap qui, comme moi, ont défié les statistiques. Ma vie adulte m’a amenée d’athlète médaillée d’or au Sénat. On me dit que je suis un modèle de détermination et d’attitude positive. Cette image n’est certes pas fausse, mais elle ne dit pas tout.

Mon quotidien, depuis l’accident qui m’a rendue paraplégique, n’a cessé d’être parsemé de quelques motifs d’irritation, de barrières et de préjugés ; comme du reste pour tous les Canadiens en situation de handicap.

Des obstacles partout

Vivre avec un handicap, quelle que soit notre situation socioéconomique, c’est commencer sa journée en sachant qu’elle ne sera pas exempte d’obstacles, petits et grands. Les barrières sont nombreuses, même dans une ville comme Montréal. Dès que l’on quitte notre domicile, c’est la chasse pour trouver d’abord un espace de stationnement accessible. Ensuite, il faut trier quels sont nos accès aux commerces de quartier, aux restaurants, aux coiffeurs et même aux services essentiels comme les épiceries, les cliniques médicales, les banques.

Si l’on est parent ou élève en situation de handicap, bonne chance pour trouver une école accessible ! Il y en a très peu, parce que la loi ne les oblige pas à l’être. Imaginez juste un moment, l’expérience déchirante d’un papa en fauteuil roulant qui ne peut pas assister au spectacle de fin d’année de fiston, faute d’accès. Imaginez une fillette qui devient handicapée à la suite d’un accident et doit quitter ses amies et changer d’école. En 2023, c’est inacceptable !

Pour les loisirs, c’est aussi choquant. À titre d’exemple, l’an passé, le parc de mon quartier refaisait son aire de jeux, à coups de millions, qui devaient garantir un accès universel. Résultat : le parc n’a aucun jeu inclusif, mais une simple rampe qui descend dans l’aire de jeux, qui elle est en copeau de bois, pas accessible. Parents et enfants en situation de handicap n’y ont pas accès. Tant pis pour nous, qui pourtant payons des taxes municipales et scolaires.

Et puis il y a les à-côtés, qui sont frustrants pour tous, mais ont un impact disproportionné chez les personnes en situation de handicap. Les travaux routiers qui n’en finissent pas, par exemple.

Un classique : on fait faire un détour aux piétons, et 40 mètres plus loin, l’autre côté du détour n’a pas de rampes. Que faire alors ?

Et je ne parle pas des hivers. Le manque d’entretien de la ville a une conséquence directe pour les personnes en situation de handicap ; quand ce n’est pas déblayé, un piéton fait le tour, en revanche un individu en fauteuil roulant reste chez lui.

À qui la faute, à qui la responsabilité de mener ce combat à terme ?

Pour les personnes avec un handicap, le défi reste de continuer à être vigilants, d’exiger que l’accès soit égal pour tous. Des portes sont entrouvertes dans la plupart des milieux, il faut les défoncer, et saisir les occasions. La balle est dans notre camp. Comme minorité qui a des besoins particuliers et ciblés, il est essentiel de demander que nos droits soient respectés.

Mais il faudra des alliés, à tous les niveaux. L’accessibilité doit devenir un projet et une responsabilité collective. Tout le monde doit embarquer. Toutes les solutions ne viendront pas d’Ottawa, c’est clair. Les provinces, les municipalités, les entreprises doivent se doter de plans d’inclusion plus ambitieux. Et nous, les citoyens, avec ou sans handicap, devrons être davantage sensibles, et vigilants.

Au-delà de l’accès physique, tous doivent avoir accès à une expérience équivalente. Qu’il s’agisse de barrières architecturales ou de préjugés sociaux défavorables, il faut développer des automatismes d’accessibilité. Parce que c’est un droit, mais surtout parce qu’une société qui est inclusive est une société qui gagne. Car, au bout du compte, une personne en situation de handicap aura toujours plus de potentiel que de limites. Il suffit d’enlever, un par un, les obstacles devant elle.

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