« Si on ne faisait que le nécessaire pour survivre, on serait encore dans les cavernes. »

Retourner sur la Lune, puis en faire un tremplin pour amener l’être humain sur Mars : c’est l’objectif du programme Artemis, auquel participe le Canada. Mais au moment où la Terre brûle, ces quêtes ne sont-elles pas futiles ? J’en ai discuté avec l’astronaute David Saint-Jacques.

La citation précédente est sans doute celle qui résume le mieux pourquoi, selon David Saint-Jacques, il est justifié de poursuivre l’exploration spatiale même si les défis que nous avons à surmonter sur Terre paraissent titanesques.

L’astronaute québécois a manifestement du pain sur la planche pour convaincre les lecteurs de La Presse.

« Sauvons d’abord notre planète. La Lune et Mars peuvent attendre encore quelques décennies ! », nous a écrit l’un d’eux à la suite d’un appel à tous que nous avions lancé.

La majorité des commentaires allaient dans la même veine. Au moment où la crise climatique menace l’humanité, vous ne frétillez pas tous d’enthousiasme à l’idée de voir l’être humain fouler à nouveau le sol lunaire. Même l’idée de conquérir un jour Mars vous laisse largement de glace.

« Je comprends, dit David Saint-Jacques lorsqu’on l’informe de ces réticences. La priorité, ce sera toujours de s’occuper des enfants et des personnes âgées. La priorité, c’est de se nourrir, de s’éduquer, de se loger. C’est d’assurer la survie à long terme de l’humanité sur la Terre, tant du point de vue écologique que géopolitique. »

PHOTO MARK FELIX, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les astronautes Jeremy Hansen – un Canadien –, Victor Glover, Reid Wiseman et Christina Hammock Koch sur scène après avoir été sélectionnés pour la mission Artemis II qui s’aventurera autour de la Lune

Mais ce que plaide essentiellement David Saint-Jacques, c’est qu’on peut (et qu’on doit !) aller au-delà de nos priorités.

Depuis le début de l’humanité, avec le peu de ressources excédentaires qu’on a, on fait trois choses : des arts, de la science et de l’exploration. Et, ultimement, ce sont toutes ces petites avancées qui font la civilisation.

David Saint-Jacques, astronaute

Ici, M. Saint-Jacques rejoint une notion qui m’est chère : celle que la science et la découverte font partie intégrante de la culture.

On ne demande pas à Denis Villeneuve d’arrêter de faire des films parce que le climat se dérègle (même si Xavier Dolan a, un moment, dit vouloir jeter l’éponge exactement pour ça).

On continue de financer nos bibliothèques, de subventionner la télévision et la musique, d’applaudir nos écrivains qui connaissent du succès.

L’exploration de l’espace me semble relever du même besoin fondamental d’aller au-delà de nous-mêmes, d’ouvrir de nouvelles perspectives, de transcender le quotidien.

La grosse différence est évidemment qu’une balade sur Mars coûte autrement plus cher que de publier un roman. Et il est parfaitement sain qu’on débatte des ressources qu’on veut consacrer à ce grand retour des missions habitées – surtout que les sondes et les robots peuvent aller dans l’espace pour beaucoup moins cher que les humains et assouvir une partie de notre curiosité.

David Saint-Jacques, lui, plaide que les budgets ne sont pas si élevés.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

David Saint-Jacques lors d’un entraînement à Moscou, en 2017

Tout ce que fait l’humanité dans l’espace – la Station spatiale, les satellites, le télescope James Webb, les astronautes, tout – totalise moins de 0,5 % du PIB mondial. On dépense beaucoup plus en armement, par exemple.

David Saint-Jacques, astronaute

La perspective est intéressante, mais il reste que les sommes sont colossales en termes absolus. Le coût total d’une mission habitée sur Mars, par exemple, pourrait atteindre 500 milliards US, selon certaines estimations⁠1.

Le Canada est évidemment loin d’assumer la part du lion des investissements spatiaux internationaux. Cette année, le budget de l’Agence spatiale canadienne s’élève à 537 millions de dollars, soit trois fois moins que celui de la Société de transport de Montréal. Et le dernier budget fédéral a consacré environ 1,4 milliard sur 13 ans à l’exploration lunaire.

Sur un produit intérieur brut total qui frôle les 2000 milliards de dollars par année, ça demeure modeste.

La Lune pour gagner Mars

Pour juger de la pertinence des investissements, il faut aussi comprendre leur objectif.

Dès l’an prochain, le collègue canadien de David Saint-Jacques, Jeremy Hansen, ira faire le tour de la Lune. Si tout va bien, des êtres humains y poseront à nouveau le pied en 2025.

IMAGE SPACEX/NASA, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Cette image montre à quoi devrait ressembler l’atterrisseur qui transportera les premiers astronautes de la NASA vers la surface lunaire.

David Saint-Jacques insiste toutefois pour dire qu’Artemis ne vise pas à réitérer les exploits des missions Apollo des années 1960 et 1970.

Oui, on retourne sur la Lune, mais c’est dans un esprit complètement différent. L’objectif est d’avoir une présence permanente sur la Lune, un peu comme on a en Antarctique.

David Saint-Jacques, astronaute

Ultimement, ce retour sur la Lune vise à préparer l’être humain à la prochaine étape : atteindre Mars.

« Avec la Station spatiale internationale en orbite autour de la Terre, c’est comme si on faisait du camping dans la cour arrière de la maison, illustre David Saint-Jacques. On se pratique, on essaie nos équipements. Mais on n’est pas prêt à aller au mont Everest – qui est, dans mon analogie, Mars. La Lune, c’est l’étape entre la cour et l’Everest. C’est comme aller au mont Washington, mettons ! »

David Saint-Jacques en convient : amener des humains sur Mars sera « une autre game ». L’aventure s’annonce extrêmement complexe et risquée. Et c’est justement là, selon lui, tout l’intérêt.

« L’espace a cette capacité de tirer le meilleur de l’esprit humain, justement parce que c’est tellement difficile », dit-il.

Il énumère quelques-uns des défis qu’il faudra surmonter pour aller sur Mars.

« Faire pousser de la nourriture dans des endroits impossibles. Recycler l’eau. Recycler le CO2. Générer de l’énergie et la gérer. Ce sont tous des problèmes qui nous préoccupent sur Terre », souligne-t-il.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La surface de Mars, photographiée par le rover Perseverance de la NASA, en 2021

Soit. Mais ne pourrait-on pas simplement s’attaquer à ces problèmes ici sans utiliser le prétexte de Mars ?

« Je suis d’accord. Sauf qu’historiquement, quand tu mets un dollar dans l’espace, il y a quelque chose qui sort au bout. La stimulation que ça amène est presque magique », répond l’astronaute, rappelant par exemple que les ordinateurs ont d’abord été miniaturisés pour pouvoir entrer dans les véhicules spatiaux.

L’astronaute québécois vante aussi la coopération internationale qu’amène l’exploration spatiale. Je lui souligne que ça n’a pas empêché la Russie d’envahir l’Ukraine…

L’espace est l’un des seuls ponts qui restent. Aujourd’hui, malgré les horreurs, malgré toutes les tensions, dans chaque vaisseau Soyouz qui décolle, il y a un Américain. Et dans chaque vaisseau de SpaceX, il y a un Russe. C’est comme la petite flamme qui reste allumée et qui garde l’espoir.

David Saint-Jacques, astronaute

Lui-même ignore s’il aura la chance de participer aux missions lunaires.

« Le petit garçon en moi rêve toujours. Il rêve toujours à la Lune. Mais ce n’est pas moi qui décide », lance-t-il, disant être conscient d’être retourné « derrière la file ». Trois autres astronautes canadiens attendent en effet d’aller dans l’espace.

J’ignore si David Saint-Jacques vous aura convaincu. Moi, ça ne compte pas. Je suis vendu d’avance. J’ai écrit un livre sur David Saint-Jacques. Je suis un fan d’exploration spatiale. Je suis fasciné par sa culture d’excellence, par sa capacité à nous faire comprendre notre place dans l’Univers.

Je sais toutefois une chose : si l’être humain pose un jour le pied sur Mars, c’est la Terre entière qui vibrera ensemble devant cet incroyable exploit. Et ça, ça n’arrive même pas une fois par génération.

Qui est David Saint-Jacques ?

  • Détient un baccalauréat en génie physique, un doctorat en astrophysique et un diplôme de médecine.
  • Nommé astronaute pour l’Agence spatiale canadienne en 2009.
  • A passé six mois dans la Station spatiale internationale, de décembre 2018 à juin 2019.
  • Est père de trois enfants.
1. Consultez un document de la NASA à ce sujet (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue