Le gouvernement Legault vient de relancer l’idée d’un troisième lien à Québec.

Oublions un instant qu’il s’agit d’un projet peu porteur, qui ne répond à aucun besoin, qui augmentera la circulation et qui n’aidera pas le transport collectif dans une région urbaine comme Québec.

Regardons plutôt le dossier d’un point de vue financier. L’argent ne poussant pas dans les arbres, si le gouvernement du Québec prend 10 milliards pour faire un troisième lien, c’est 10 milliards qui ne serviront pas à d’autres projets.

Que pourrait-on se payer avec autant d’argent ? Une telle somme est spectaculaire, mais peut aussi paraître bien abstraite. Rendons-la concrète.

10 milliards

Le coût de la dernière version du troisième lien autoroutier Québec-Lévis : entre 9,5 et 10 milliards de dollars. Cette version de tunnel autoroutier a été abandonnée au printemps. Le gouvernement Legault a fait volte-face début octobre en annonçant qu’il « consulterait » la population sur plusieurs options de troisième lien, sans doute moins dispendieuses. À titre d’exemple, un troisième pont près de Sainte-Foy coûterait sans doute un peu moins de 5 milliards (le nouveau pont Samuel-De Champlain à Montréal a coûté 4,5 milliards). Pour répondre à notre question, on utilisera tout de même le dernier chiffre officiel de 10 milliards.

Un troisième lien de 10 milliards, c’est l’équivalent de…

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Un troisième lien de 10 milliards, c’est l’équivalent de 1,6 Stade olympique…

1,6 Stade olympique de Montréal

Comme beaucoup de Québécois, j’ai de beaux souvenirs d’enfance du Stade olympique – on allait voir les Expos en famille pendant les vacances. Mais sur le plan financier, le Stade reste l’un des pires investissements publics au Québec. En 1972, Montréal estimait que les Jeux olympiques coûteraient 320 millions tout compris. Le Stade et les autres installations du Parc olympique ont finalement coûté 1,7 milliard. On a fini de payer le Stade… 30 ans après les Jeux, en 2006. En tenant compte de l’inflation, les installations olympiques ont coûté 6,32 milliards en dollars de 2023.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

… 1,26 REM…

1,26 REM

Pas le groupe de musique qui chantait Losing My Religion, mais le nouveau métro léger à Montréal, le Réseau express métropolitain. Les 26 stations du REM, qui seront en activité (sauf deux) fin 2024, coûteront 7,95 milliards. C’est le plus important projet de transport collectif du Canada à l’heure actuelle.

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… 67 % du budget de rénovation et de construction des écoles pendant cinq ans…

67 % du budget de rénovation et de construction des écoles pendant cinq ans

Admettons qu’il faut cinq ans pour construire le troisième lien (on a construit le nouveau pont Samuel-De Champlain en quatre ans, donc c’est réaliste). En cinq ans (2023 à 2028), Québec a prévu de dépenser 14,8 milliards pour rénover et construire des écoles. Les 10 milliards du troisième lien représentent les deux tiers (67 %) de ce budget.

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… 59 % du budget des routes pendant cinq ans…

59 % du budget des routes pendant cinq ans

En cinq ans, Québec dépensera 17,1 milliards pour la réfection et la construction de routes. Les 10 milliards du troisième lien représentent 59 % de ce budget.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

… 1,4 fois le budget du transport collectif pendant cinq ans…

1,4 fois le budget du transport collectif pendant cinq ans

Le troisième lien coûterait plus cher… que toutes les infrastructures de transport collectif prévues par Québec pour les cinq prochaines années ! En cinq ans, Québec dépensera 7,3 milliards pour le transport collectif. Le budget du troisième lien représente 137 % de cette somme.

Est-ce un projet routier rentable ?

Même parmi les projets routiers, le troisième lien a une rentabilité particulièrement faible. On paierait incroyablement cher pour très peu d’utilisateurs. Pour le même achalandage routier, il coûterait 5,5 fois plus cher (!) que le nouveau pont Samuel-De Champlain à Montréal. En plus, il s’agit d’une nouvelle infrastructure routière, qui augmenterait le trafic (c’est le concept du trafic induit : si vous construisez une route, ça va inciter plus de gens à prendre leur auto pour l’utiliser, et le trafic va augmenter).

2 % du budget de l’éducation

Combien pourrait-on investir en éducation (par exemple : pour engager des profs ou des orthopédagogues) avec les 10 milliards du troisième lien ? 10 milliards ? Non, ce n’est pas si simple.

Le gouvernement du Québec a deux budgets distincts. Un premier budget pour ses dépenses de fonctionnement chaque année. C’est le budget dont vous entendez toujours parler. Ce budget est financé par les impôts, les taxes et les profits des sociétés d’État. Il sert à payer les fonctionnaires, le personnel de la santé, les profs, le budget de l’éducation, bref, toutes les dépenses de fonctionnement pour assurer les missions de l’État, ainsi que les intérêts sur sa dette. Ce budget est de 148 milliards en 2023-2024.

Le deuxième budget, c’est le budget d’infrastructures (titre officiel : Plan québécois des infrastructures). Le gouvernement du Québec y finance ses infrastructures (par exemple : routes, hôpitaux, réseaux de transport collectif) essentiellement en s’endettant. Quand il construit ou achète un actif (comme le troisième lien), il met cette dépense dans ce deuxième budget. Québec a un budget d’infrastructures de 150 milliards sur 10 ans, dont 17 milliards en 2023-2024.

Chaque dépense d’infrastructure a tout de même des conséquences sur son premier budget courant (celui dont vous entendez parler toute l’année). En gros, chaque année, Québec paie les intérêts sur sa dette et prévoit une dépense pour l’amortissement de ses actifs.

Le troisième lien ne « coûterait » pas 10 milliards d’un coup au gouvernement du Québec. Québec paierait plutôt chaque année les intérêts sur un emprunt de 10 milliards (environ 300 millions par an) et inscrira une dépense d’amortissement (167 millions par an si on l’amortit sur 60 ans). Chaque année, le troisième lien « coûterait » donc environ 467 millions.

S’il n’y a pas de troisième lien, Québec pourrait choisir de mettre ces centaines de millions ailleurs dans les opérations du gouvernement. Par exemple, ça représente environ 2 % du budget en éducation (primaire et secondaire). On pourrait donc augmenter le budget de l’éducation de 2 %.

Un troisième lien ou de nouvelles écoles ?

Il y a une autre façon de voir les choses. Avec la pénurie de main-d’œuvre, on manque d’ingénieurs et de travailleurs de la construction pour faire tous nos projets d’infrastructures. On n’arrive pas à suffire à la demande. Dans ce contexte, il faut aussi se demander quels autres travaux d’infrastructures (comme des écoles, du transport collectif) on retarderait pour construire le troisième lien (ou tout autre projet d’infrastructure majeur).

« On arrive à la limite de la capacité de l’industrie, et on observe une inflation importante, dit Louis Lévesque, président du comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois. On ne peut pas inventer des ingénieurs et des travailleurs de la construction. Il faut prioriser et étaler nos projets dans le temps. On n’est pas contre le troisième lien en principe, mais on devrait prioriser le maintien des actifs existants. Il faudrait vraiment des bénéfices importants pour justifier un nouveau projet majeur comme le troisième lien. »

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