Des citoyens qui se réunissent chaque semaine pour discuter d’enjeux d’actualité ? À la section Dialogue, l’initiative ne pouvait que nous aller droit au cœur. Compte rendu d’une matinée où le mot « échange » prend tout son sens.

« Gilles ! Pense à ton cœur, Gilles ! Calme-toi ! »

Le Gilles en question s’esclaffe, soudainement conscient qu’il vient de s’emporter un brin. Autour, les gens rigolent avant de prendre une gorgée de café.

Nous sommes au café La Factrie, à Salaberry-de-Valleyfield, en pleine séance de ce qui a été baptisé « Nouvelles et café ».

Sur le plancher, les tables ont été disposées pour former un grand rectangle. Autour, 16 hommes et 7 femmes sont venus se prêter à un exercice vieux comme le monde, mais qui, dans nos sociétés virtuellement hyperconnectées, semble presque anachronique : échanger sur l’actualité, les yeux dans les yeux, sans se cacher derrière un écran.

Ce qui anime actuellement les discussions est la question de savoir si la flambée de violence qui déferle sur Israël et la bande de Gaza peut être considérée comme un conflit religieux.

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Les échanges sont parfois animés, mais on ne sent aucune acrimonie ici. Que du respect, de l’écoute, de la curiosité. Beaucoup d’humour, aussi.

« Maudites religions. Ça en fait-tu, du dommage ! », avait lancé François un peu plus tôt. C’est à cela que Gilles répond avec fougue, convaincu que la religion n’explique pas cette nouvelle guerre.

J’écris « fougue », mais on ne sent aucune acrimonie ici. Que du respect, de l’écoute, de la curiosité. Beaucoup d’humour, aussi.

À l’une des extrémités, Dominique Reynolds fait office de président d’assemblée. Il note les tours de parole dans un cahier et surveille les temps d’intervention grâce à la minuterie sur son téléphone cellulaire.

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Dominique Reynolds fait office de président d’assemblée. Il note les tours de parole dans un cahier et surveille les temps d’intervention grâce à la minuterie sur son téléphone cellulaire.

Chacun a trois minutes pour s’exprimer – une règle appliquée avec flexibilité, l’idée étant simplement d’éviter les monologues et de maximiser les échanges.

Les intervenants ont manifestement fait leurs devoirs avant de se présenter ici. Ils renvoient à des reportages du Devoir, de La Presse, de Noovo, de la BBC. Certains sont arrivés avec des notes pour mieux étayer leurs arguments.

Un « réseau citoyen »

Les matinées « Nouvelles et café » sont nées en 2016 dans la foulée de l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Ce « traumatisme », comme me le décrit l’un des vieux habitués, Denis Bourdeau, a manifestement suscité un besoin de jaser.

« L’idée était de créer un réseau citoyen, un espace d’échange », dit-il.

D’une demi-douzaine d’initiés au départ, la liste d’envoi de courriels a grossi pour compter maintenant une quarantaine d’intéressés. Chaque rencontre attire une vingtaine de personnes.

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Les matinées « Nouvelles et café » sont nées en 2016 dans la foulée de l’élection de Donald Trump aux États-Unis.

On a des indépendantistes, des fédéralistes, des gens qui soutiennent toutes sortes de partis politiques. Le point d’unité, c’est qu’on est préoccupés par les affaires sociales.

Denis Bourdeau, participant aux matinées « Nouvelles et café » à Salaberry-de-Valleyfield

« Y a même un libéral ! On en prend soin ! », le coupe à la blague Dominique Reynolds.

Le groupe est surtout formé de retraités. « Ce qui nous manque le plus, c’est la vision des plus jeunes », admet Dominique Reynolds, qui convient que la plage horaire du jeudi matin est peu susceptible d’attirer les étudiants ou les travailleurs.

« L’autre chose, c’est les filles. Elles n’interviennent pas beaucoup. Notre défi est de les impliquer davantage. Sinon, ça fait un peu Old Angry Men », dit-il.

Personne, ici, n’est contraint de s’exprimer.

« Tu peux venir juste pour entendre ce que les autres ont à dire. On n’est jamais obligé d’avoir des opinions ! », explique Dominique Reynolds.

Un dialogue sur le dialogue

Après le conflit israélo-palestinien, c’est maintenant l’avenir du Parti libéral du Québec qui occupe les échanges. Il reste ensuite une trentaine de minutes pour lancer un dernier sujet. Certains aimeraient parler du blocage à la Chambre des représentants américaine. D’autres de la réforme du mode de scrutin.

C’est finalement la question du manque de dialogue dans la société qui est retenue. Le chroniqueur affecté à la section Dialogue que je suis frétille sur son siège.

Les réflexions entendues rejoignent en grande partie celles qui nous animent, à La Presse.

Dans la société québécoise, lorsqu’on échange des idées et qu’on n’est pas d’accord, on dirait qu’on joue notre vie. C’est comme si tout notre être était remis en cause par un point de vue qui n’est pas accepté par l’autre.

Marie, participante aux matinées « Nouvelles et café

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L’idée que les débats sont aujourd’hui plus difficiles qu’à une certaine époque est si répandue qu’on la remet peu en question.

« Il faut que tu choisisses ton camp. T’es avec nous ou t’es contre nous. Il n’y a pas de place pour les positions intermédiaires », dénonce à son tour Éric.

L’idée que les débats sont aujourd’hui plus difficiles qu’à une certaine époque est si répandue qu’on la remet peu en question. Mais par un commentaire qui me fait encore réfléchir, Denis se permet de le faire.

« Chez nous, mon frère était libéral et moi j’étais indépendantiste, raconte-t-il. Et au nom de la bonne entente, on n’a jamais discuté politique. Dans les familles québécoises, ça se présentait souvent comme ça. Pendant les repas de famille, on taisait les sujets sur lesquels on pouvait se chicaner. Donc on s’entendait très bien ! »

Derrière son comptoir, Roger, le barman, suit les échanges avec attention.

Il m’explique utiliser parfois son cellulaire pour vérifier les faits avancés par les participants et intervenir au besoin pour les rectifier.

« Des fois, ça brasse plus », me lance-t-il. Je comprends qu’une discussion au sujet d’un projet éolien à Salaberry-de-Valleyfield, en particulier, a soulevé les passions. Mais personne ne semble en avoir gardé rancune.

Ce qui se déroule chaque jeudi matin dans ce café de Salaberry-de-Valleyfield peut sembler banal. On parle d’êtres humains qui discutent, s’écoutent et tentent ensemble de mieux comprendre le monde qui nous entoure.

J’en suis pourtant reparti admiratif – ému, même. En me disant que ce que je venais de voir est tellement plus que juste du monde qui jase.

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