Une fois le président désigné et les bals inauguraux tenus au Château Frontenac, il faudra passer à la fâcheuse étape de gérer la République du Québec. Pour plusieurs souverainistes, ce pivot se fera avec aisance, comme on passe du secondaire au cégep ou de l’heure avancée à l’heure normale. Comment ne pas partager leur enthousiasme ? Le Québec a fait des progrès économiques considérables depuis le référendum de 1995 et même le Parlement du Canada a reconnu depuis qu’il formait une nation.

Le Parti québécois a publié lundi une étude touchant certains éléments économiques se rattachant à un Québec souverain. Dans les ouvrages antérieurs sur le même sujet, les souverainistes nous avaient habitués à plus d’humilité. En évoquant des sommes mirobolantes (jusqu’à 97 milliards en 2027) qu’on prétend extraire d’Ottawa au bénéfice de Québec, on imagine le plus important convoi de fourgons bancaires entre deux villes depuis le transport de lingots d’or par diligence entre El Paso et San Francisco durant la folie minière du XIXsiècle.

Je croyais M. St-Pierre Plamondon plus audacieux. Pourquoi ne pas avoir invité un économiste établi à Toronto ou Calgary à se pencher sur les chiffres ? Prenez le partage des actifs et passifs – auquel l’étude consacre plus de tableaux que CNN dans ses soirées : la perspective anglo-canadienne n’aurait-elle pas été intéressante ? Et avec les humeurs qui règnent certains jours en Alberta, je suis convaincu qu’il aurait déniché un volontaire disposé à épouser son discours hostile envers Ottawa.

Le document, plus pamphlet qu’étude économique sérieuse, évoque une liste d’avantages rattachés à la séparation du Québec, notamment la création de 200 ambassades à Québec. L’étude réfère même à un secteur dont j’ignorais l’existence – la diplomatie économique. Les boutiques de la rue Cartier connaîtront, semble-t-il, une effervescence sans précédent. Un peu plus, et on citait aussi le Tournoi pee-wee de Québec : les foules accourront pour voir évoluer l’équipe composée exclusivement d’enfants du personnel diplomatique.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Paul St-Pierre Plamondon, au moment de dévoiler le budget de l’an 1 d’un Québec souverain

Tout budget – que ce soit celui du Québec ou d’une famille de quatre personnes – implique l’élaboration d’hypothèses. Un degré à gauche ou à droite peut bousculer un cadre financier. L’exercice auquel se plie le Parti québécois n’est pas facile, je le reconnais. Il existe beaucoup de zones grises. Mais l’enjeu exige une transparence à toute épreuve.

Parmi les éléments clés que l’étude escamote se trouvent la future politique monétaire du Québec et le maintien des ententes de libre-échange.

Dans les premières pages du document, le chef du Parti québécois laisse entrevoir la création d’une devise québécoise en faisant référence à une politique monétaire « alignée exclusivement sur la situation économique du Québec ». Le contraire aurait surpris – le Parti québécois critique ponctuellement les politiques de la Banque du Canada en prétendant qu’elles nuisent au Québec. Je sais le Parti québécois préoccupé par ce concept de contrôle de la politique monétaire – on devine qu’il préfère un contrôle comme celui de l’Argentine sur son peso plutôt que celui de l’Estonie sur l’euro.

Je vous préviens, toutefois : ne cherchez pas les détails sur la mise en œuvre de cette politique monétaire Made in Quebec – ils n’existent nulle part. Pire, dans le bas d’une page au milieu de l’étude, les auteurs admettront que le Québec conservera le dollar canadien comme monnaie officielle pendant un « certain moment ». Un certain moment ? Vraiment ? Comme combien de temps ? Cinq ans ou vingt ans ? Sans surprise, aucune précision n’est avancée.

L’omission la plus troublante de l’étude touche l’impact sur les revenus du Québec lorsqu’il se retrouvera sans accès privilégié pour l’exportation de ses biens et services. Par ce silence, on invite les Québécois à présumer que le Québec continuera à bénéficier des retombées des ententes avec les États-Unis (et le Mexique) et l’Union européenne. Et que le Canada, témoin du convoi de fourgons bancaires vers l’est, s’empressera de signer une entente pour faciliter l’accès des produits québécois au Canada.

Nous sommes une nation de commerçants et d’exportateurs. Les bâtisseurs du Québec nous ont donné des entreprises florissantes qui ont inspiré les générations suivantes à se lancer en affaires. Nos produits se retrouvent partout dans le monde, principalement en Amérique du Nord et en Europe. Et que dire des entreprises étrangères qui s’installent au Québec pour accéder au marché des États-Unis – elles sont très nombreuses ? On arguera que l’étude se voulait un portrait des finances au jour 1 de l’indépendance. Soit, mais les Québécois aimeraient comprendre le plan pour le jour 475 aussi. Ignorer le sujet complètement insulte l’intelligence du lecteur.

Je comprends le projet souverainiste – je n’y adhère pas, mais je le comprends. En laissant croire qu’une séparation du Canada serait une occasion d’affaires, comme un flip immobilier, M. St-Pierre Plamondon fait contraste avec les ténors souverainistes des 50 dernières années qui nous avaient habitués à des discours plus émotifs que comptables. Et la recette est venue à quelques ingrédients près de réussir en 1995. Plusieurs conclusions de l’étude du Parti québécois ne sont pas crédibles. Et les omissions dérangent. Plutôt que d’aider la cause, je pense qu’elles nuisent.

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