Les Français vont mal. Je reviens d’un séjour en France, histoire de voir la famille. Les rencontres avec parenté et amis ont permis de prendre le pouls du pays. Il faut préciser que la période est très particulière : semaines post-7 octobre, jour de l’attaque du Hamas contre Israël, de l’assassinat du prof de lycée Dominique Bernard par un islamiste, manifestations pro-Palestine ou pro-Israël quasi quotidiennes. Dans les médias, les propos des commentateurs étaient survoltés et les camps, tranchés. Le tout sur fond de crise économique, de guerre en Ukraine et de présence infernale des punaises de lit.

Les Français sont pessimistes, inquiets, divisés.

Comme si, pourtant habitués à être l’épicentre d’une Europe en ébullition, ils prenaient ces jours-ci la mesure de la débâcle de leur pays, malmené ces dernières années sous les angles politique, économique, social. Comme s’ils réalisaient l’incurie de leurs dirigeants, tous partis confondus. Le conflit israélo-palestinien, qui renaît violemment et s’invite dans les rues de Paris, est un révélateur pour mesurer l’état de la France. Le réveil de certains est brutal. J’étais à Paris au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. L’inquiétude était palpable, les gens préoccupés. Mais je n’ai jamais entendu ce que j’ai entendu à plusieurs reprises ces derniers jours : « troisième guerre mondiale » et, à l’échelle nationale, « guerre civile à basse intensité ». Le pessimisme résigné et l’exaltation partisane sont les sentiments les mieux partagés là-bas.

Le Québécois de passage en France pourra pourtant trouver matière à se réjouir, surtout s’il n’y a pas mis les pieds depuis quelque temps.

Le Québec fait rêver les Français. Terminé le temps où notre accent était ridiculisé. Aujourd’hui, ils le remarquent à peine. Très rapidement, ils entament la conversation et, dès la troisième réplique : « Ha ! Ma sœur/fille/amie rêve d’habiter/habite chez vous ! » Ils veulent y vivre. Plusieurs connaissent quelqu’un qui est passé à l’acte. Et ce ne sont pas tant nos grands espaces que l’air qui circule chez nous qui les excitent.

Notre société nous semble mollassonne, en panne. Mais dans leurs yeux, c’est un lieu de réalisation, de possibles. Notre nord-américanité est l’espace de toutes les créativités. Leur regard nous fouette !

Une autre chose saute aux yeux : leur télé d’info continue. Les Français disposent de plusieurs chaînes d’allégeances idéologiques différentes, qui passent la journée entière en débats et analyses. C’est toujours la faute des politiciens, de l’adversaire, du Pouvoir. Ultimement, cet exercice de débat poussé à son paroxysme produit quelque chose de paralysant et d’anxiogène. À les entendre, TOUS les dangers guettent la France, du Grand RemplacementMD aux punaises de lit. Le monde est instable. Sortir dehors relève de la folie. Certes, le climat social français est délétère, mais au quotidien, avec application, les médias de là-bas construisent de la menace, de l’insécurité et de la méfiance.

PHOTO STÉPHANIE LECOCQ, REUTERS

Les punaises de lit, dont tout le monde parle à Paris, ne font rien pour alléger l’ambiance ces jours-ci en France.

On le sait : ce qui choque plusieurs Québécois en France est la manière désinvolte avec laquelle ils adoptent l’anglais. Un anglais massacré par la plupart, mais que tous adoptent en raison commerciale, nom de commerce, d’objets ou de concepts quotidiens. Les pubs télé entièrement en anglais sont légion. Mais ils ne sont ni choqués ni menacés. Leurs structures grammaticales et mentales demeurent profondément françaises. Et ils ne sont pas entourés d’une mer d’anglophones. C’est terriblement agaçant pour nous, mais cela a peu d’effets réels sur eux.

Non. Ce qui les pénètre vraiment, ce qui change profondément leur nature est plus grave. Les Français ne font plus société. Ils sont en totale dissonance cognitive nationale.

La France n’est plus un tout, LE Français n’existe plus. Il y a DES France. Les différences sociales, régionales, économiques, culturelles, raciales, religieuses les définissent de plus en plus. Dans leur discours, les ruptures et les fossés frappent. On les distingue à l’œil nu. Des gilets jaunes aux jeunes émeutiers des banlieues, la France est atomisée, et le conflit israélo-palestinien rajoute une couche de division aiguë dans le corps français. La population a changé, les rapports sont tendus, les innombrables campements de migrants un peu partout sont le rappel visible que les problèmes sont insolubles, que les défis s’accumulent.

Les Français angoissent. Ils ont même trouvé un terme. Exit l’écoanxiété, voici la « géopolitico-anxiété ». Face à ces bouleversements, ils doutent d’eux. Plusieurs sont dans le déni, surtout à l’extrême gauche. D’autres se radicalisent silencieusement à l’extrême droite. Faque l’anglais, tsé…

Alors, les Français s’évadent comme ils peuvent.

Ils rêvent du Québec, comme d’un Eldorado, d’une solution de rechange. Ils se ruent sur le nouvel Astérix, L’iris blanc, qui battra des records de vente, lui qui ravive cette idée rassurante d’une France unie et disparue.

On le remarque : le fond de l’air est tout de même meilleur quand on revient à PET…

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