Parmi tous les éléments que le gouvernement du Québec tentait de résoudre dans sa réforme de la santé, jamais celui des bras philanthropiques des hôpitaux n’avait été effleuré. Et pour cause. Établies pour trouver des sources de financement accessoires pour le milieu hospitalier, les fondations n’ont aucun rôle à jouer dans le traitement des patients. Ni dans le triage, ni dans l’examen médical, ni dans la salle d’opération.

L’intervention écrite des six ex-premiers ministres la semaine dernière rappelle toutefois le rôle essentiel qu’ont joué ces fondations pour épauler l’État dans son objectif de financer adéquatement la santé au Québec1. Ce sont des milliards de dollars qui ont été recueillis par le secteur privé pour les hôpitaux du Québec depuis 20 ans. Des sommes dirigées principalement vers la recherche, les équipements et l’amélioration des soins. Cette injection massive de fonds – juxtaposée aux efforts de l’État, bien sûr – aura convaincu plusieurs médecins et chercheurs de rester au Québec pour pratiquer leur art et d’autres d’y revenir.

La réaction du commissaire au lobbyisme du Québec face à la lettre des ex-premiers ministres laisse pantois. Dans un communiqué publié la semaine dernière, il sous-entend que l’effort des anciens politiciens s’assimilait à du lobbyisme. D’abord, au risque de le froisser, le Québec n’était pas sur le qui-vive dans l’attente de son point de vue. Ensuite, en acceptant sa prémisse, quel « client » les ex-premiers ministres auraient-ils divulgué ? La nation québécoise tout entière ou seulement les personnes en attente d’une opération chirurgicale ? « Aide-toi, le ciel t’aidera », enseignait-on jadis. Le ciel malheureusement ne peut rien faire pour contrer l’absence de sens commun.

On pouvait tout autant s’étonner des propos du premier ministre qui prétendait lever le voile sur les véritables motifs du milieu philanthropique dans le contentieux qui l’oppose au ministre de la Santé. Selon François Legault, les membres des conseils d’administration de fondations tiennent à leurs « petits pouvoirs ». En Chambre, on le devinait à une provocation près de sortir l’épouvantail de prédilection qui lui a tant servi : encore des gens de Montréal qui se plaignent !

N’est-il pas possible d’avoir un différend avec le gouvernement sans que le premier ministre passe à l’attaque ? Ce crois ou meurs m’épuise – comme il m’épuisait d’ailleurs quand j’étais à Ottawa. La carrière de M. Legault jusqu’à présent laisse transpirer peu d’expérience philanthropique, ce qui explique probablement cette incompréhension du rôle des administrateurs de fondations.

Pour parfaire ses connaissances, je lui suggère de consulter deux de ses collègues – le ministre des Finances (Eric Girard) et la ministre de l’Habitation (France-Élaine Duranceau). Ils ont tous deux siégé pendant de nombreuses années au conseil de la Fondation du CHU Sainte-Justine. À ma demande, alors que je le présidais, ils ont également accepté de participer aux travaux de certains comités du conseil. Bon an, mal an, c’est probablement plus de 50 heures qu’ils consacraient à Sainte-Justine. Je peux affirmer sans l’ombre d’un doute qu’ils n’ont pas offert leur temps à Sainte-Justine pour des questions de « petits pouvoirs ». Ils se sont investis – comme la très grande majorité des Québécois qui donnent leur temps à des fondations – par altruisme.

En visitant nos hôpitaux, universités, théâtres et musées, M. Legault a certainement observé des murs tapissés de noms de familles québécoises ou d’entreprises. Ces donateurs pour la plupart ont été sollicités par des membres des conseils d’administration des fondations rattachées à ces institutions – des bénévoles qui appellent, rencontrent et convainquent des tiers de faire des dons. La ponction sur le temps d’une personne qui accepte de solliciter des fonds surprendrait probablement le premier ministre. La prise de décision – surtout pour les dons les plus importants – peut prendre des mois, sinon des années, à se conclure. Les « petits pouvoirs » auxquels référait M. Legault existent réellement, plutôt qu’un quelconque retour d’ascenseur pour les bénévoles qui peuplent les conseils de fondations, ce sont ceux de trouver des fonds qui garantiront l’achat d’équipement médical, la création d’une chaire universitaire ou la survie d’un théâtre.

Guidée par des timoniers comme les Bouchard, Chagnon, Coutu, Desmarais et Péladeau, une nouvelle génération de mécènes s’installe chez nous. Ils sont nombreux et généreux (et pas tous de Montréal !).

Pendant très longtemps, le Québec a fait figure de cancre dans l’univers philanthropique canadien. Ce n’est plus le cas.

Je sais que ça ne change rien à l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario – un sujet qui préoccupe beaucoup M. Legault –, mais à mes yeux, c’est tout aussi important. Notre société s’enrichit et je m’en réjouis. Mais ce qui est tout aussi remarquable, c’est ce désir de partage que l’on observe partout au Québec. Laisser planer un doute sur les motivations des gens impliqués en philanthropie est contre-productif. M. Legault devrait plutôt s’enorgueillir des progrès remarquables que connaît le milieu caritatif au Québec.

1. Lisez la lettre des six ex-premiers ministres du Québec Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue