« Le monde se fout de ce qu’on dit sur le Moyen-Orient. Le reste du monde ne nous écoute pas par rapport à ce conflit-là. »

Louise Blais, ex-diplomate chevronnée, me lance ça à la toute fin d’une entrevue de plus d’une heure consacrée à la politique étrangère du Canada. Je la préviens tout de suite que ça risque fort de se retrouver tout en haut de mon texte.

Ça ne la gêne pas. Car ce n’est pas par provocation qu’elle s’exprime de cette façon. Et le ton qu’elle emploie n’est pas celui de la dénonciation. C’est simplement, de sa part, un appel au réalisme.

Les Canadiens vivent dans cette illusion que tout le monde veut notre avis sur tout. Ce n’est plus vrai, ça.

Louise Blais, ex-diplomate

« Le Sud global [la Chine, l’Inde, ainsi que plusieurs autres pays plus petits désignés ainsi par opposition aux nations occidentales] est devenu beaucoup plus puissant, plus autonome, plus revendicateur, plus capable de défendre ses intérêts. Ces pays ne s’attendent pas à ce que le Canada parle pour eux, alors qu’on a déjà parlé pour eux dans le passé », ajoute cette experte, qui a fait partie de la diplomatie canadienne pendant 25 ans avant de quitter la fonction publique il y a deux ans.

PHOTO KAREN MINASYAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, observant la ville de Djermouk et les positions des forces armées azerbaïdjanaises depuis une colline qui la surplombe, le mois dernier, en Arménie

J’ai discuté avec elle dans le contexte du conflit israélo-palestinien et dans la foulée d’un discours de Mélanie Joly sur la politique étrangère canadienne début novembre.

Cette politique sera guidée par la défense de notre souveraineté et par le recours à une diplomatie pragmatique pour « créer des liens avec des pays ayant des points de vue différents des nôtres », a déclaré la ministre des Affaires étrangères au Conseil des relations internationales de Montréal.

Je voulais demander à Louise Blais son avis sur le rôle du Canada sur la scène internationale alors que le monde traverse une zone de turbulences majeures.

Je cherchais à savoir comment une puissance moyenne comme la nôtre – démocratie libérale qui tente de garder le cap alors que l’autoritarisme a le vent en poupe – peut tirer son épingle du jeu.

Elle m’a laissé entendre que le Canada était mûr pour une leçon d’humilité.

Une époque révolue

« Les Canadiens ont été gâtés à travers l’histoire », rappelle Mme Blais. Nous avons déjà eu la chance de jouer un rôle « démesuré par rapport à notre grandeur et notre pouvoir international ».

Elle cite par exemple l’époque de Lester B. Pearson, qui a été à l’origine du concept des Casques bleus de l’ONU dans les années 1950, pour ensuite recevoir le prix Nobel de la paix.

PHOTO ALEXIS HUGUET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des casques bleus uruguayens de la Mission de stabilisation de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo regagnent leur base, en 2020. C’est l’ancien premier ministre canadien Lester B. Pearson qui a été à l’origine du concept des Casques bleus de l’ONU dans les années 1950.

« Je ne dis pas qu’à l’avenir ça ne pourrait pas être possible avec la bonne personne, le bon leader. Mais le monde a changé, dit-elle. Le monde est devenu beaucoup plus complexe. Il est en situation de polycrise. Malheureusement, on n’est plus dans la construction d’une architecture mondiale avec des règles, dont le Canada avait été un architecte important. »

Louise Blais est actuellement diplomate en résidence à l’Université Laval, et je l’ai rencontrée dans un café-restaurant vietnamien du boulevard Laurier, à Sainte-Foy.

Avant de quitter la diplomatie canadienne en 2021, elle a travaillé pendant quatre ans à la mission permanente du Canada auprès des Nations unies. C’est donc une fine observatrice non seulement de la politique étrangère canadienne, mais également du multilatéralisme et des institutions internationales.

Aussi, quand elle lance un appel au réalisme, elle ne le fait pas de façon théorique. Elle pense que la suite logique serait, pour le gouvernement fédéral, de faire preuve de plus de pragmatisme.

« On devrait réaliser que le Canada ne devrait peut-être pas s’impliquer directement dans tout ce qui se passe à l’étranger », dit-elle.

J’avance alors qu’il n’est désormais plus possible pour Ottawa de jouer sur tous les tableaux.

« Exactement ! C’est l’idée de choisir les bons tableaux. Là où nos intérêts sont directement affectés et là où on a de l’influence parce qu’on est un chef de file dans ces dossiers-là. Et à partir du moment où on adopte cette politique, il y a des choix et des priorités et il faut les communiquer à nos alliés. »

Savoir prendre sa place

Et le fait est que sur les dossiers du Proche-Orient, le Canada ne dispose plus d’une assez grande influence pour que sa voix soit écoutée, voire remarquée.

C’est d’autant plus vrai qu’à l’ONU, l’appui indéfectible offert par Ottawa à Israël pendant de nombreuses années a fait perdre de la crédibilité à la diplomatie canadienne auprès des pays arabes.

Louise Blais l’a constaté lorsqu’elle participait à la plus récente campagne canadienne pour obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU – qui s’est soldée par un échec.

« C’est vrai qu’on veut que le Canada joue un rôle important, mais il faut respecter sa taille, sa portée, et comprendre où on se situe sur l’échiquier international. On ne demande pas, aujourd’hui, à l’Irlande de régler le problème israélo-palestinien. Je pense qu’il faut aussi être réaliste par rapport à ce que le Canada peut faire. »

Notre conversation me rappelle une fable de La Fontaine : La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Elle a tellement enflé qu’elle a fini par éclater. La morale de cette histoire est applicable au Canada dans le monde. Mieux vaut ne pas s’aveugler sur ses propres dimensions.

Mais concrètement, ça voudrait dire jouer sur quels tableaux ?

Notre hémisphère, d’abord. « J’étais très heureuse de voir que le premier ministre a reçu les chefs des États du CARICOM (Communauté des Caraïbes). C’est parfait, il faut rebâtir nos relations avec les pays des Caraïbes », dit Louise Blais.

PHOTO TORI LAKE, FOURNIE PAR LES FORCES CANADIENNES

Opération des forces armées canadiennes au Nunavut en 2020. Selon Louise Blais, le Canada devrait notamment privilégier le dossier de l’Arctique.

Il faut aussi privilégier le dossier de l’Arctique, fondamental pour notre sécurité nationale. Et cesser de négliger notre engagement à l’égard de l’OTAN – elle évoque ici l’insuffisance des efforts pour que les dépenses militaires canadiennes atteignent 2 % du produit intérieur brut du pays.

Une autre piste à suivre, selon elle, serait celle de l’Afrique francophone, « avec laquelle on a une culture en commun ».

Les Canadiens ne sont toutefois pas prêts à accepter cette nouvelle donne, estime Louise Blais. « [Ils] s’attendent à ce qu’on se manifeste partout, sur tout. C’est ce à quoi les Canadiens sont habitués. »

Pour que ça change, elle dit croire qu’il faut lancer « une conversation à ce sujet ». Elle verrait d’un bon œil une grande consultation, qui mènerait à un nouveau livre blanc sur la politique étrangère canadienne.

« On a perdu notre influence dans le monde, oui, mais est-ce que c’est la fin du monde ? », lance-t-elle.

Ça fait mal d’entendre ça, bien sûr. Mais au fond, le réalisme est préférable à la naïveté.

Je me dis aussi en l’écoutant que si on ne rajuste pas nos attentes, on va encore se bercer d’illusions… et continuer de voir nos espoirs déçus.

Qui est Louise Blais ?

Louise Blais a fait partie de la diplomatie canadienne pendant 25 ans. Elle a notamment été consule générale à Atlanta de 2014 à 2017 ainsi qu’ambassadrice et représentante permanente adjointe du Canada à l’ONU de 2017 à 2021. Elle est actuellement – entre autres – diplomate en résidence à l’Université Laval et au Georgia Institute of Technology.

Appel à tous

Comment voyez-vous le rôle du Canada dans le monde aujourd’hui ? Concrètement, sur quels enjeux devrait-il miser ?

Écrivez-nous ! Faites-nous part de votre point de vue