Mais quelle mouche a piqué les Américains ?

Vous avez vu comme moi le plus récent sondage publié par le New York Times sur la course à la Maison-Blanche ? Il a de quoi faire peur à tous ceux qui redoutent une victoire de Donald Trump contre Joe Biden en novembre prochain.

Il a été effectué dans six États clés, c’est-à-dire ceux qui déterminent habituellement le gagnant de la course à la Maison-Blanche. C’est donc un sondage très ciblé.

C’est pour cette raison que je le trouve si intéressant. J’ai appris à prendre les sondages nationaux avec des pincettes dans ce pays, étant donné la mécanique du scrutin américain (oui, je parle du fameux collège électoral).

Les résultats de ce récent sondage sont désastreux pour Joe Biden⁠1.

Dans cinq des six États clés, Donald Trump est en avance.

Au Nevada, il récolte 52 % des intentions de vote, contre 41 % pour Joe Biden.

En Géorgie : 49 %, contre 43 % pour Biden.

En Arizona : 49 %, contre 44 % pour Biden.

Au Michigan : 48 %, contre 43 % pour Biden.

En Pennsylvanie : 48 %, contre 44 % pour Biden.

Le seul des six États où Donald Trump n’est pas le favori des sondages, c’est le Wisconsin.

Joe Biden y bénéficie d’une maigre avance (47 % contre 45 %) sur son rival républicain.

Mettre les résultats du sondage en perspective nous permet de comprendre encore mieux l’inquiétude qui ronge les démocrates depuis leur publication : en 2020, Joe Biden avait triomphé dans chacun de ces six États !

PHOTO OLIVIER DOULIERY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le plus récent sondage publié par le New York Times sur la course à la Maison-Blanche n’augure rien de bon pour l’actuel président, Joe Biden.

« Si les résultats de ce sondage étaient les mêmes en novembre prochain, M. Trump serait en bonne position pour remporter plus de 300 voix du collège électoral, bien au-dessus des 270 nécessaires pour accéder à la Maison-Blanche », a résumé le journaliste du New York Times.

Prenez quelques instants pour digérer ça.

Quand vous serez prêt, vous pourrez lire la suite, où je vais me pencher sur les causes de cette catastrophe potentielle.

Pourquoi tant d’Américains sont-ils prêts à donner une deuxième chance à Donald Trump ?

La réponse tient à mon sens en quelques mots. Ceux qui forment le slogan associé à la campagne de Bill Clinton en 1992, quand il a réussi à vaincre George H. W. Bush.

« C’est l’économie, imbécile ! »

Encore une fois, l’histoire bégaie.

PHOTO PHELAN M. EBENHACK, ASSOCIATED PRESS

C’est sur la question économique que Donald Trump surpasse le plus clairement son rival : 59 % des électeurs lui font davantage confiance, contre 37 % pour le président démocrate, selon le sondage du New York Times.

Sur les divers enjeux évoqués dans le sondage du New York Times, c’est sur la question économique que Donald Trump surpasse le plus clairement son rival : 59 % des électeurs lui font davantage confiance, contre 37 % pour le président démocrate.

C’est très problématique. Parce que dans le même sondage, 57 % des Américains affirment que ce sont les enjeux économiques qui vont déterminer leur vote lors du scrutin présidentiel en 2024.

Dans le même ordre d’idées, le chroniqueur William Galston du Wall Street Journal a publié le mois dernier un texte intitulé : « La boîte de céréales à 8,99 $ qui pourrait ébranler le monde ».

Pour la majorité des Américains, la meilleure façon de mesurer la santé de l’économie est de se fier « au prix des biens et services qu’ils achètent », a-t-il expliqué.

Il a ensuite cité, à ce sujet, une femme de ménage de l’Illinois : « J’ai failli faire une crise cardiaque l’autre jour quand j’ai vu une boîte de céréales à 8,99 $ ! » Et il se disait convaincu que les effets de l’inflation vont « jouer un rôle démesuré » au prochain scrutin présidentiel.

Je voulais obtenir l’avis d’un politologue américain à ce sujet et j’ai contacté Charles Franklin, de l’Université Marquette au Wisconsin (un des six États clés).

Est-il d’accord ?

Sa réponse courte : « Oui ! »

Sa réponse longue ? Il m’a parlé du prix des céréales et du prix de l’essence (plus de 3 $ le gallon dans le Midwest, là où il habite, « et encore plus élevé » à certains endroits).

PHOTO NAM Y. HUH, ASSOCIATED PRESS

Dans l’Illinois, le prix de l’essence ordinaire dépassait largement les 3 $ le gallon la semaine dernière.

Il a aussi souligné que les prix des loyers et des maisons ont bondi.

Les gens comparent la situation actuelle avec ce qu’ils pouvaient acheter il y a cinq ans. Ils se disent : “Mon Dieu, ma situation s’est détériorée !”

Charles Franklin, politologue à l’Université Marquette, au Wisconsin

Charles Franklin m’a fait parvenir par courriel un graphique illustrant le revenu personnel disponible réel des Américains depuis 2014. Ça m’a permis de mieux comprendre pourquoi Donald Trump a une bonne longueur d’avance sur Joe Biden sur les questions économiques.

« Exception faite de la crise de la COVID-19, on a assisté à une hausse constante de ce revenu lors de la présidence Trump. Il est passé d’environ 44 000 $ à 48 000 $ par année », dit-il.

À l’inverse, après avoir bondi temporairement en raison des mesures d’aide fédérales liées à la COVID-19, le revenu personnel disponible réel des Américains a chuté au début du mandat de Joe Biden. Il n’a recommencé à grimper que dans la dernière année.

« Je pense donc que les gens peuvent regarder la période pré-COVID sous Trump et se dire : “Hé, il a bien géré l’économie ! J’allais plutôt bien, l’inflation était très basse à cette époque et les taux d’intérêt étaient également bas” », ajoute le politologue.

J’aimerais revenir en terminant à l’avis de William Galston. Dans le titre de sa chronique, il a utilisé l’expression « ébranler le monde » et ça mérite des explications.

Il s’inquiète parce qu’il pense que la politique étrangère de Joe Biden est un atout, à long terme, pour la sécurité nationale des États-Unis.

Sur les enjeux internationaux, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche serait pour lui « un désastre » pour les Américains et leurs alliés.

Il a raison.

Vous vous souvenez de la théorie du chaos, qui suggère que le battement d’ailes du papillon quelque part dans le monde peut avoir des effets significatifs ailleurs sur la planète ?

Elle trouve son illustration dans cette boîte de céréales trop chère qui pourrait permettre le triomphe de l’ancien président républicain et – à des milliers de kilomètres de Washington – avoir un impact déterminant sur un conflit comme la guerre en Ukraine (on connaît les atomes crochus entre Trump et Poutine).

Je ne vais toutefois pas vous laisser sur une note si pessimiste.

Premièrement, l’élection présidentielle américaine est dans un an. En politique, c’est une éternité.

« Les sondages un an avant le scrutin sont très faiblement liés, voire pas du tout, au résultat final », m’a rappelé Charles Franklin.

J’ajouterais que les victoires des démocrates et des défenseurs du droit à l’avortement lors de scrutins dans divers États la semaine dernière auront rappelé aux républicains qu’ils ont tout avantage à ne pas crier victoire trop vite.

« Les rumeurs concernant ma mort sont très exagérées », avait dit l’écrivain Mark Twain. Joe Biden pourrait le paraphraser.

Il est normal d’être inquiet. Mais les rumeurs au sujet de sa défaite en 2024 me semblent pour l’instant très exagérées.

1. Consultez le sondage du New York Times (en anglais ; abonnement requis) Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue