(Paris) Ne comptez pas sur Stéphane Dion pour rejoindre le chœur des pessimistes qui se plaignent de la perte d’influence du Canada sur la scène internationale. L’ambassadeur du Canada en France et envoyé spécial pour l’Union européenne ne fait pas dans la nostalgie d’un temps révolu dans les relations internationales.

« Pearson, ça fait 70 ans ! », dit l’ambassadeur, en parlant de que ce plusieurs considèrent comme l’âge d’or de la diplomatie canadienne. Le monde a beaucoup changé depuis et il n’y a pas, aujourd’hui, un seul pays qui puisse prétendre être aussi déterminant que les États-Unis.

Mais on a vu après la guerre froide que les États-Unis « se sont sentis un temps comme s’ils étaient seuls sur la glace » et qu’il fallait donc leur dire, de temps en temps, que leur manière d’aborder les questions internationales n’était pas nécessairement la bonne.

Or, les alliés du Canada comptent souvent sur lui pour tenter d’influencer son grand voisin. « On fait partie d’une équipe », dit-il. Et dans le groupe des pays alliés, le Canada a le rôle particulier « d’encourager les États-Unis à travailler de façon multilatérale ».

Cela a été, selon Stéphane Dion, un rôle qui a été particulièrement important pour les alliés du Canada, au cours du mandat de l’ancien président Donald Trump – même si, diplomatie exige, M. Dion ne prononcera pas son nom.

J’ai le sentiment que sous le mandat du gouvernement Trudeau, on a joué [ce rôle] de façon très appréciée en raison du type de présidence que les États-Unis ont eu avant l’arrivée de M. Biden.

Stéphane Dion, ambassadeur du Canada en France

Ce n’était pas la première ou la seule fois que cette influence du Canada s’est fait sentir. Il énumère l’ouverture vers la Chine, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ou le refus de participer à « une intervention militaire mal conçue » en Irak.

« Le Canada n’a pas frappé beaucoup de grands chelems, mais il n’y a pas beaucoup d’autres pays qui le font non plus », dit-il. Et pour rester dans les analogies sportives, l’ambassadeur estime que le Canada « est sur le jeu de puissance plus souvent que les autres ».

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Stéphane Dion reste inquiet à propos du dossier de l’environnement, lui qui avait présidé la COP 11 à Montréal en 2005.

Inquiétude sur l’environnement

Mais si Stéphane Dion est assez satisfait du rôle diplomatique du Canada, il reste inquiet à propos du dossier de l’environnement, lui qui avait présidé la COP 11 à Montréal en 2005.

Ce qu’il appelle « notre relation avec la planète » ne va pas bien. « Il est bien difficile de sortir des statistiques encourageantes », affirme-t-il. Serions-nous en train de perdre la bataille du climat ? « Je suis inquiet, mais pas au point de jeter l’éponge », lance-t-il.

Il dit que le Canada peut faire encore mieux, mais que sur cette question, « personne n’est premier, on est tous des deuxièmes ». Et on peut craindre que les partis verts et autres qui ont une plus grande conscience des enjeux écologiques connaissent des reculs aux élections qui viennent, dont les élections européennes du 9 juin prochain.

Le débat politique risque d’être dominé par d’autres enjeux comme le coût de la vie ou la crise identitaire et de l’immigration. La question environnementale et climatique crée beaucoup d’angoisse parmi les citoyens quand ils voient les canicules, les inondations ou les incendies de forêt, mais cela ne se traduit pas nécessairement aux urnes.

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Des secouristes cherchent des survivants après le naufrage d’une embarcation de migrants, au large des îles Canaries. Les crises identitaire et de l’immigration risquent de nuire à celle du climat, croit Stéphane Dion.

Devant autant d’enjeux, on assiste à une fragmentation grandissante de l’électorat qui se reflète durement sur les partis du centre. « Aux Pays-Bas, le gagnant d’une élection a remercié les électeurs pour leur appui massif de… 22 % ! Moi, j’ai déjà perdu une élection avec plus que ça ! », se souvient l’ex-chef libéral.

L’ancien professeur de sciences politiques n’est jamais très loin, quand on parle avec Stéphane Dion. Comme lorsqu’il explique les causes de la crise identitaire en Europe.

« Il y a ceux qui pensent que la crise est économique ou sociale et ceux qui pensent qu’elle est démographique et culturelle. Je penche plus vers la deuxième explication, mais j’aimerais mieux que ce soit la première », dit-il.

Quelqu’un qui me dit : “je ne vote pas pour vous parce que je veux des baisses d’impôts”, je sais comment gérer ça. Mais si on me dit : “je ne vote pas pour vous parce que vous allez nous imposer la charia”, là, j’ai plus de difficulté.

Stéphane Dion, ambassadeur du Canada en France

La gauche a tendance à penser qu’il faut donc plus de social, plus de garderies ou de transports en commun. Même si ce sont de bonnes politiques, ça ne réglera pas leur problème.

« Le débat est déplacé maintenant, les populations vieillissent, et quand elles quittent leur région rurale pour Paris ou Munich, c’est un monde qu’elles ne comprennent pas bien… et c’est là que les partis de gauche et du centre perdent leurs appuis traditionnels. »

Une crainte qu’il est difficile d’expliquer à des gens qui ne sont pas préparés et ne voient pas les efforts d’intégration. « C’est très tentant, alors, de voter pour quelqu’un qui dit qu’on va bâtir un mur », conclut-il.

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