Il y a peu de choses que Justin Trudeau doit détester autant que la publication d’un mauvais sondage de plus le jour d’une tempête de neige.

Parce qu’il est inévitable qu’on parlera alors d’une autre tempête, celle du 28 février 1984, quand son illustre père, lui aussi confronté à de mauvais sondages, est allé marcher dans la neige et a conclu que le temps était venu de démissionner.

Sauf que si Justin Trudeau décide d’aller faire une marche dans la tempête, ce ne sera probablement pas cet hiver. Parce que si un évènement pouvait lui permettre de changer la donne des prochaines élections fédérales au Canada, ce sera l’an prochain, lors de l’élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024.

À ce moment-ci, on ne peut prédire avec certitude qui de Donald Trump ou de Joe Biden – ou d’un autre candidat, bien que cela semble improbable – l’emportera. Pour mémoire, disons que les deux candidats sont au coude-à-coude et dans la marge d’erreur des sondages.

Mais une chose est certaine, si Donald Trump l’emporte, la « question de l’urne » lors des élections qui suivront, au Canada, portera presque certainement sur les relations avec les États-Unis.

La question deviendrait alors : qui de Justin Trudeau ou de Pierre Poilievre sera le mieux placé pour composer avec l’imprévisible président des États-Unis ?

Aujourd’hui, il est bien impossible de prévoir ce que diraient les Canadiens.

On pourrait croire que la réaction serait de ne pas élire un premier ministre qui serait de la même mouvance politique que M. Trump et que les intérêts du Canada seraient mieux défendus par Justin Trudeau.

Après tout, il a été le premier ministre pendant le premier mandat de M. Trump et ne s’en est pas trop mal tiré, autant pour défendre les valeurs canadiennes que lors de la renégociation de l’ALENA.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Pour Pierre Poilievre, ici en Chambre mardi, l’élection de Trump pourrait devenir une façon de se présenter comme plus centriste. Mais la réélection de l’ancien président pourrait aussi être un piège pour le chef conservateur.

Mais pour M. Poilievre, l’élection de Trump pourrait aussi devenir une façon de se présenter comme plus centriste. Il pourrait essayer de montrer qu’il n’a pas l’ambition d’être le Trump canadien et prendre exemple sur Brian Mulroney, qui avait réussi avec brio à emprunter le vocabulaire de Ronald Reagan, sans pour autant adopter ses politiques.

Aujourd’hui, trois Canadiens sur quatre veulent un changement de gouvernement et les conservateurs ont une avance de 19 points sur les libéraux, qui ne sont plus en tête dans aucune région du Canada, pas même au Québec, où les bloquistes les devancent désormais.

Il n’y a plus que 15 % des électeurs qui souhaitent la réélection de l’équipe libérale, selon le plus récent sondage Abacus publié cette semaine.

On a beau être à deux ans de la date prévue des prochaines élections fédérales, c’est une avance qui commence à ressembler à quelque chose d’insurmontable. À moins, bien sûr, d’un évènement qu’on pourrait associer à un tremblement de terre politique. Comme un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche…

Pour Pierre Poilievre, le seul fait qu’on va parler de plus en plus de Donald Trump pourrait se révéler être un handicap, et la campagne électorale américaine peut devenir un piège.

PHOTO MATTHEW PUTNEY, ASSOCIATED PRESS

Depuis quelques mois, le discours de Donald Trump devient de plus en plus violent.

Depuis quelques mois, on a remarqué des changements dans le discours de M. Trump, qui devient de plus en plus violent. Il décrit ses adversaires comme de la « vermine ». Il dit que l’ancien chef d’état-major des armées devrait être exécuté. Que les voleurs à l’étalage devraient être abattus avant de pouvoir quitter le magasin, etc.

M. Poilievre sera inévitablement appelé à commenter de tels propos et même s’il s’en dissocie, il reste qu’ils nuiront au message qu’il voudrait passer. Et il pourrait avoir à s’engager sur des sujets dont il aurait préféré ne pas avoir à discuter.

Quant à Justin Trudeau, on le voit déjà essayer d’associer son rival à Donald Trump, pour montrer que les deux hommes véhiculent les mêmes valeurs, qui ne sont pas celles de la majorité des Canadiens⁠1.

Il est évident que ce n’est qu’une répétition générale et que la campagne électorale venue, les libéraux reprendront cette ligne d’attaque, surtout si M. Trump devait être élu.

Et si M. Biden devait conserver la présidence, les libéraux auraient beau jeu de décrire le chef conservateur comme le représentant de valeurs dépassées qui n’ont plus l’appui de la majorité des électeurs, des deux côtés de la frontière.

Actuellement, M. Trudeau doit faire face pratiquement toutes les semaines à un nouveau sondage qui le montre loin derrière son adversaire conservateur, et il a bien peu de moyens de faire changer cette dynamique.

Une bonne nouvelle pour le gouvernement serait une baisse des taux d’intérêt et de l’inflation dans la nouvelle année. Mais il n’est pas certain que ce serait suffisant pour modifier la lourde volonté de l’électorat de changer de gouvernement.

Par contre, l’élection américaine pourrait, si M. Trudeau joue bien ses cartes, devenir le coup de tonnerre qui lui permettrait d’éviter d’aller « faire une marche dans la neige ».

1. Consultez une publication du Parti libéral du Canada sur X (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue