Au début du mois, l’Écomusée du fier monde a désigné l’hôpital de la Miséricorde dans sa collection muséale. Non, il ne s’agit pas d’exposer les vieilles pierres grises ou des artefacts de l’hôpital construit entre 1853 et 1947…

L’Écomusée du fier monde – qui a aussi désigné le Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal – se spécialise dans l’histoire populaire et le patrimoine immatériel. En désignant la Miséricorde, on souhaitait préserver et mettre en valeur la mémoire de cet hôpital qui a profondément marqué l’histoire du Québec et du secteur des Faubourgs.

« Ce n’est pas tant le patrimoine bâti que l’importance de la Miséricorde dans l’histoire du Québec, et en particulier dans celle des femmes, que nous soulignons avec ce geste, a rappelé René Binette, conseiller aux projets stratégiques de l’Écomusée, lors d’une petite cérémonie le 3 décembre dernier. Il faut préserver la mémoire liée aux femmes qui y ont travaillé, accouché, ainsi que les enfants qui ont été donnés en adoption. Ça en dit long sur la société et les mœurs de l’époque. »

Un édifice laissé à l’abandon

Trop peu de gens connaissent l’histoire de cette maternité catholique fondée par Rosalie Cadron-Jetté en 1848, et qui a été cédé au gouvernement du Québec en 1973.

Reconnue par plusieurs organismes, dont Héritage Montréal, l’importance patrimoniale de l’hôpital de la Miséricorde est indéniable.

Jusqu’à sa fermeture, des filles-mères allaient y accoucher en catimini. Oubliez les peluches, les cigares des nouveaux pères comblés et les sourires épanouis. À l’exception des femmes mariées qui accouchaient dans une aile distincte, les filles-mères (comme on les appelait) entraient par la porte d’en arrière, dans la honte. Elles s’inscrivaient sous un pseudonyme, et la majorité d’entre elles ont laissé leur enfant à la crèche de l’hôpital pour qu’il soit donné en adoption.

  • La crèche de l’hôpital de la Miséricorde, à Montréal, dans les années 1930

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    La crèche de l’hôpital de la Miséricorde, à Montréal, dans les années 1930

  • Une salle d’accouchement de l’hôpital de la Miséricorde, toujours dans les années 1930

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    Une salle d’accouchement de l’hôpital de la Miséricorde, toujours dans les années 1930

  • Un groupe de bébés dans une salle de récréation de l’hôpital de la Miséricorde, en juillet 1947

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    Un groupe de bébés dans une salle de récréation de l’hôpital de la Miséricorde, en juillet 1947

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L’ensemble de huit bâtiments occupe tout un pâté de maisons situé sur le boulevard René-Lévesque, entre les rues Saint-André et Saint-Hubert. Il a abrité le CHSLD Jacques-Viger de 1975 à 2012.

Propriété du gouvernement du Québec, l’édifice est à l’abandon. À l’exception de quelques travaux de sécurisation temporaire, on n’a pas touché à l’endroit, dont l’état continue de se dégrader.

En 2007, le ministère de la Santé jugeait déjà que la structure du bâtiment était vétuste. On évaluait alors qu’il en coûterait de 50 et 60 millions de dollars pour le retaper. Imaginez aujourd’hui !

Mis en vente au printemps dernier, on attend encore de connaître l’identité des trois promoteurs intéressés par le site.

Devoir de mémoire

En plein centre-ville, dans un quartier où les besoins de logements abordables et sociaux sont criants, les groupes communautaires, réunis au sein de l’organisme à but non lucratif Quadrilatère de la Miséricorde, souhaitent que l’ancien site de l’hôpital conserve une vocation communautaire, une vision partagée par la Ville de Montréal. On pense à des logements pour les familles, à des résidences pour les hommes de 55 ans et plus, à des ateliers d’artistes, à des logements étudiants… C’était aussi la volonté des Sœurs de la Miséricorde que le bâtiment garde une vocation sociale lorsqu’elles ont cédé l’édifice au gouvernement québécois.

Il y a aussi le projet de Musée de la Miséricorde porté par Caroline Masse depuis plusieurs années. Ma collègue Rima Elkouri vous en a parlé en mai dernier⁠1.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Masse

C’est grâce à Mme Masse, elle-même enfant de la Miséricorde, et à son inlassable travail de fond que l’hôpital fait désormais partie de la collection de l’Écomusée.

Elle aussi attend avec impatience le dénouement de l’appel d’intérêt lancé par le gouvernement au printemps. Aurons-nous des nouvelles bientôt ? J’ai posé la question au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui pilote le dossier, accompagné par la Société québécoise des infrastructures (SQI).

« Les trois promoteurs intéressés finalisent la troisième version de leur projet, m’a expliqué Jean-Nicolas Aubé, porte-parole du CIUSSS. C’est un dossier complexe qui évolue lentement », reconnaît-il.

Une histoire oubliée

« Ce lieu, c’est aussi un ancrage identitaire et le lieu d’origine de plusieurs orphelins », a rappelé Caroline Masse lors de la cérémonie du 3 décembre. Mme Masse a également préparé un circuit pédestre qui a été présenté durant les Journées de la culture. Le parcours se déroule à l’extérieur, autour des bâtiments du boulevard René-Lévesque, et raconte l’histoire de l’institution. Pour y avoir participé en octobre dernier, je peux vous dire que ces visites sont très émotives. Plusieurs des participants présents étaient nés à la Miséricorde et ils avaient beaucoup de questions. D’où l’importance d’avoir un lieu qui serait préservé à l’intérieur des murs du futur site pour que les milliers de personnes qui y sont nées, ainsi que leurs descendants, puissent venir s’y recueillir. Pour plusieurs, c’est un besoin viscéral.

Un besoin qui doit absolument être pris en considération par les futurs propriétaires. « Il faut plus qu’une plaque de bronze », a insisté Caroline Masse. Je suis absolument d’accord avec elle.

Qu’est-ce qu’un écomusée ?

Le concept nous vient de la France, où il a été créé en 1971. Un écomusée est lié à un territoire donné (dans le cas qui nous intéresse, le Centre-Sud) et son objectif est de valoriser la culture et le patrimoine de ce territoire, en plus d’organiser des activités de conservation, d’éducation et de diffusion. Bien implanté dans sa communauté – avec laquelle il tisse des liens –, l’écomusée s’intéresse au patrimoine matériel (vieilles pierres, reliques, artefacts, etc.) ou immatériel (récits, savoirs, contes, etc.).

1. Lisez la chronique « À la mémoire des mères jamais fêtées » de Rima Elkouri Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue

Une version précédente de ce texte mentionnait que l’Hôpital de la Miséricorde avait fermé ses portes en 1972. Il a plutôt été cédé au gouvernement du Québec en 1973 et a poursuivi ses activités durant quelques années, jusqu’à l’ouverture du CHSLD Jacques-Viger en 1975, et non en 1973 comme nous l’avions écrit.