Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je visite une ville étrangère, je lis presque religieusement toutes les plaques commémoratives que je croise sur mon chemin.

C’est grâce à une de ces plaques que j’ai découvert la maison – au 11, rue Victor Schœlcher, 14arrondissement, à Paris – dans laquelle Simone de Beauvoir a vécu de 1955 à 1986. Même chose pour le 32, rue des Bourdonnais, dans le 1er arrondissement, où l’abbé Pierre a vécu et travaillé de 1914 à 1954.

Ces plaques commémoratives sont des pépites d’histoire qui rendent nos promenades encore plus intéressantes.

Je suis une grande marcheuse et je trouve dommage que Montréal n’en compte pas davantage.

Même si notre histoire n’est pas aussi longue que celle de Paris ou de Londres, il y a eu suffisamment de personnalités et d’évènements marquants pour qu’on multiplie ce type de plaque.

Prenons un nom au hasard : Thérèse Casgrain, cette féministe qui a contribué à l’obtention du droit de vote des femmes au Québec. Elle est née et a habité à Montréal, mais vous ne le saurez pas si vous passez devant sa maison d’enfance, rue du Musée, dans le Golden Square Mile. Cette magnifique demeure, qui porte le nom de son père (Maison Rodolphe-Forget), abrite aujourd’hui le consulat de Russie… 

Pour trouver une trace commémorative de Thérèse Casgrain, il faut se rendre à Québec et aller admirer le monument en hommage aux femmes en politique à côté du parlement.

La naissance de Refus global

L’idée de cette chronique m’est venue quand j’ai assisté au spectacle de Robert Lepage, Projet Riopelle, au printemps dernier. On y rappelait que c’est dans l’appartement de la famille de Claude Gauvreau, au 75, rue Sherbrooke Ouest, qu’un petit groupe d’artistes avait écrit le texte de Refus global. Je me suis rendue à cette adresse, aujourd’hui occupée par la compagnie aérienne Royal Air Maroc. On n’y trouve rien qui pourrait rappeler aux passants l’importance historique de cet immeuble. C’est regrettable.

PHOTO MAURICE PERRON, AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE LINE-SYLVIE PERRON

Claude Gauvreau, Julienne Gauvreau, Pierre Gauvreau, Marcel Barbeau, Madeleine Arbour, Paul-Émile Borduas, Madeleine Lalonde, Bruno M. Cormier et Jean-Paul Mousseau en février 1947. La photo, qui fait partie de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec, a pour titre Seconde exposition des automatistes au 75 ouest, rue Sherbrooke, chez les Gauvreau.

J’ai parlé de mon obsession des plaques commémoratives à Yves Bergeron, directeur de l’Institut du patrimoine de l’UQAM. J’ai trouvé chez cet expert une oreille réceptive. Il m’a confirmé que les plaques commémoratives répondent à un besoin collectif de mémoire.

C’est une façon de rejoindre les gens à l’extérieur des musées et des institutions. Et il y a encore un gros travail de médiation à faire.

Yves Bergeron, directeur de l’Institut du patrimoine de l’UQAM

Quand je lui demande de me nommer des endroits où il irait visser une plaque, Yves Bergeron me répond sans hésiter : la maison de Réjean Ducharme, dans la Petite-Bourgogne. Il soulignerait aussi l’importance du château Dufresne comme point de départ de la Révolution tranquille. Enfin, de nombreux théâtres québécois ont contribué à transformer le Québec et M. Bergeron estime qu’il faudrait que ce soit commémoré de façon plus évidente.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La maison de Réjean Ducharme, dans la Petite-Bourgogne

J’ai voulu m’amuser de mon côté à dresser une liste de personnalités que je voudrais commémorer et j’avoue qu’un des premiers noms qui m’est venu à l’esprit est celui de Michel Tremblay. J’ai rapidement trouvé l’adresse de la maison où il est né et j’ai donc écrit au célèbre auteur pour lui demander s’il existait une de ces plaques quelque part sur le Plateau Mont-Royal. Sa réponse n’a pas tardé : « Il n’y en a pas. Tant mieux. »

Quand je lui demande si ça ne lui ferait pas plaisir, il me répond : « Après ma mort. J’ai refusé un timbre canadien à mon effigie deux fois. »

Note à moi-même : vaut mieux vérifier auprès de la personne qu’on veut commémorer, si elle est encore en vie…

L’exemple de Québec

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le château Dufresne, à Montréal. Yves Bergeron, directeur de l’Institut du patrimoine de l’UQAM, juge qu’il faudrait souligner l’importance de l’endroit comme point de départ de la Révolution tranquille.

En 2022, le ministère de la Culture et des Communications a adopté une nouvelle Stratégie de commémoration. Intitulée « Je me souviens », elle se déploiera au cours des prochains mois. Une des mesures concerne justement les plaques commémoratives.

Le gouvernement provincial pourrait prendre exemple sur la Ville de Québec, qui a sa propre politique. On en trouve 142 dans la Vieille Capitale, qui honorent le lieu de vie de personnages historiques, ou encore des individus qui ont eu une influence. Tous les cinq ans, de nouveaux noms s’ajoutent à la liste. Un comité étudie les propositions qui peuvent aussi venir des citoyens. « Ces plaques contribuent au rayonnement de la ville, qui est responsable de leur entretien », m’explique Jean-Pascal Lavoie, porte-parole pour la Ville de Québec.

Les propriétaires des immeubles sont, me dit-il, toujours heureux de les accueillir, même si ça peut parfois vouloir dire des touristes qui s’arrêtent devant leur maison.

Commémorer autrement

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

L’œuvre murale en hommage à Françoise Sullivan, photographiée en septembre dernier. Voilà une autre façon de commémorer l’histoire et la démarche d’une artiste.

Je suis un peu traditionnelle avec mes plaques, je le réalise quand je m’entretiens avec Denis Boucher, président du Conseil du patrimoine de Montréal. L’historien me fait comprendre que ma ville se démarque par son approche novatrice de la commémoration.

Des exemples : le parcours fleuve-montagne, les installations dans le Quartier chinois, les insertions sur le trottoir de la rue Sainte-Catherine, ou encore le parcours de la rue Peel qui rappelle la rencontre entre les peuples autochtones et les nouveaux arrivants.

On parle alors de design intégré, d’une façon différente de capter l’information. Selon M. Boucher, ces parcours « installent un dialogue avec le marcheur-citoyen ».

Un autre exemple : l’œuvre murale en hommage à Françoise Sullivan. « Ça nous amène à apprendre l’histoire inconsciemment, affirme Denis Boucher. C’est une forme de commémoration qui raconte aussi la démarche de l’artiste. »

C’est vrai que ces approches novatrices sont différentes et piquent la curiosité. Mais ça n’empêche pas que j’aimerais bien croiser plus de plaques commémoratives lors de mes balades montréalaises.

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