Dégoûtant. Voilà comment mon collègue Patrick Lagacé qualifie l’idée de manger des insectes⁠1.

Une perception, chers lecteurs, que vous partagez largement. Les résultats du sondage lancé dans nos écrans mardi sont sans équivoque. Vous êtes à peine 9 % à vous dire prêts à intégrer les insectes dans votre alimentation « sans retenue ». À l’inverse, vous vous déclarez « incapables » d’en manger à 60 %.

Entre les deux, 20 % des répondants disent être ouverts à manger des insectes… s’ils ne s’en rendent pas compte.

Bien sûr que je comprends cette répulsion instinctive à ingurgiter des bibittes. Mais j’aimerais, si vous le permettez, faire un peu de pouce sur cette notion de dégoût alimentaire.

J’ai déjà été un végane convaincu. Ça a duré 24 heures, en 2007.

La Presse m’avait envoyé visiter un abattoir de porcs à Red Deer, en Alberta. À l’époque, ce complexe de la taille de 62 arénas était la plus grosse machine à tuer, à découper et à empaqueter des cochons de tout le pays.

PHOTO TODD KOROL, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Abattoir de porcs à Red Deer, en Alberta, photographié en 2007

Désolé pour ce qui suit, mais c’est nécessaire à mon argumentaire.

J’ai vu là-bas des travailleurs vider des intestins remplis de merde dans une salle au plancher inondé de sang. J’y ai vu des porcs électrocutés, saignés, puis passés au four pour en brûler les poils (l’odeur que ça dégage…). Les employés chargés de me faire visiter les lieux ont pris un malin plaisir à piger des testicules de porc sanguinolents dans un gros baril pour me les brandir sous le nez.

Ça m’a pris tout mon petit change pour conserver mon déjeuner dans mon estomac.

En sortant de l’abattoir, mon carnet de notes constellé d’éclaboussures de sang, j’ai roulé à travers les vastes et magnifiques champs de céréales qui couvrent les Prairies canadiennes. Le véganisme était ma nouvelle religion.

Ça n’a pas duré. Aujourd’hui, ma recette de porc effiloché à la mexicaine fait ma gloire auprès de mes proches (le secret se cache notamment dans le cumin et l’origan, le jus d’une orange et une cuisson très lente).

Ce que je tente de vous dire ici, c’est que le dégoût pour la nourriture est loin de toucher uniquement les insectes. Et qu’on peut le vaincre.

Regardez un cochon vautré dans la boue. Humez-en l’odeur. Et dites-moi sincèrement que ça vous ouvre l’appétit.

Faites la même chose avec une huître. Un calmar. De la cervelle de veau. Un roquefort. La première fois qu’on est exposé à ces produits, il faut souvent surmonter une certaine répugnance pour en apprécier les plaisirs.

Attablé devant un homard, il m’arrive de me demander ce qui a bien pu passer par la tête du premier humain qui s’est dit : tiens, je vais goûter à ça.

Un œuf est un ovule de poule visqueux qui, quand on y pense, est franchement dégoûtant.

À côté de ça, une farine de grillons grillés serait la fin du monde ?

Je fais le pari que beaucoup pourraient s’y habituer rapidement. C’est mon cas.

J’ai goûté à quelques reprises à des grillons et à des larves de ténébrions, à la fois entiers et en poudre. Je n’ai pas éprouvé le moindre haut-le-cœur. Il suffit de passer par-dessus la petite appréhension du début, comme on le fait en voyage quand on découvre de nouveaux aliments.

Dans le cadre d’un projet scolaire, mes enfants ont même déjà démarré un élevage de ténébrions meuniers chez moi. Un lit de flocons d’avoine, un morceau de fruit de temps à autre, et voilà. Les larves se multiplient à une vitesse hallucinante.

En lisant l’article de ma collègue Sara Champagne⁠2, je me suis donc demandé ce que j’attendais pour mettre de la poudre d’insectes dans mes céréales le matin. Ces petites bêtes sont riches en protéines. Elles nécessitent peu de ressources pour grandir. Pour élever des grillons, vous n’avez pas besoin de vastes pâturages. Ni de tracteurs ou d’insecticides. Et de très peu d’eau.

Les chiffres varient selon les études, mais il est aussi clair que leur élevage génère moins de GES que la viande. Pour la même quantité de protéines, le poulet produirait de 23 % à 167 % fois plus de GES que les insectes ; le bœuf, lui, en émettrait jusqu’à 1200 % de plus, selon une étude danoise⁠3.

Mon collègue Francis Vailles a déjà montré qu’après les déplacements en voiture, c’est l’alimentation qui pèse le plus dans le bilan carbone des Québécois⁠4. Opter pour les insectes serait une façon de me faire pardonner mon porc braisé. Parce que même si j’ai diminué ma consommation de viande, je ne peux pas me vanter d’être végane.

Je ne tente pas ici de vous convaincre, encore moins de me poser en sauveur de la planète. Vous achèterez bien ce qui vous chante à l’épicerie.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Qui aurait cru il y a 50 ans que les sushis seraient si omniprésents au Québec qu’ils auraient perdu à peu près tout leur exotisme ?

Mais on peut voir les choses autrement qu’à travers nos habitudes bien ancrées. Il y a 50 ans, vous auriez dit aux Québécois que leurs enfants se délecteraient un jour de bouchées de poisson cru posées sur du riz collant, et on vous aurait renvoyé à votre steak et à vos patates bouillies en vous traitant de fou. Aujourd’hui, les sushis sont si omniprésents qu’ils ont perdu leur exotisme. Et les goûts changent plus vite qu’à l’époque.

Sauterelles chipotle, grillons caramélisés à l’érable, croûtons aux ténébrions : en écrivant cette chronique, je découvre des produits québécois que je ne soupçonnais même pas. J’ai envie d’y goûter. Emmenez-en, des bibittes dans l’assiette.

Les tripes apprêtées à la française, par contre, j’ai encore de la misère. Toi, Pat ?

1. Lisez la chronique « Manger des grillons (et autres insectes), c’est non » de Patrick Lagacé 2. Lisez « À quand des insectes dans les épiceries québécoises ? » de Sara Champagne 3. Consultez The environmental sustainability of insects as food and feed. A review (en anglais) 4. Lisez la chronique « Petit guide pour réduire vos émissions de GES » de Francis Vailles Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue